Au-delà du simple bruit des casseroles, ne faut-il pas entendre la demande populaire ? Dans le contexte particulier imposé par la covid-19 et au vu des insuffisances de la stratégie gouvernementale, l’écoute, la bienveillance et le sang-froid s’imposent comme jamais.
Comme en atteste la «Révolution des casseroles», les populations n’en peuvent plus des restrictions imposées sous prétexte de lutte contre la covid-19. Au bout d’une année, le couvre-feu, l’obligation de présenter un test PCR pour accomplir certains gestes de la vie quotidienne, le port obligatoire du masque, ne passent plus. Comme souvent en pareilles circonstances, le gouvernement a recours aux instruments de coercition et de répression. Au lieu rechercher l’adhésion, il exige obéissance. Sans doute pour l’exemple, Philippe Arsène Owono, Jeff Blampain et Dimitri Ombinda ont été placés sous mandat de dépôt, le 12 mars dernier. Poursuivis pour «atteinte à la sûreté de l’Etat», ils retrouveront Gael Koumba Ayouné et le rappeur Hoffman au pénitencier de Sans-famille.
Instrument au service du pouvoir politique
On pourra polémiquer sur la paternité de la «Révolution des casseroles». On pourra épiloguer sur ses objectifs ou sa portée. On pourra disserter sur la responsabilité dans les décès de Gildas Iloko et Djenki Emane, tués au plus fort du mouvement de protestation. Mais cela ne changera rien au fond de l’affaire : des jeunes Gabonais ont été jetés en prison pour avoir encouragé les gens à dire leur frustration en tapant dans une casserole. Pourquoi une telle sévérité pour un mouvement pacifique ? Pourquoi une telle fermeté quand des faits autrement plus graves sont demeurés impunis ? Pourquoi une telle célérité quand d’autres enquêtes piétinent ? Disproportionnée, cette sanction ne contribue nullement à la respectabilité de la justice. Bien au contraire. Elle en donne l’image d’un instrument au service du pouvoir politique.
Ces dernières années, la justice s’est trop souvent invitée dans les relations entre les forces sociales et le pouvoir politique. Deux mois avant la dernière présidentielle, Jean Ping était dans son viseur. Accusé d’«atteinte à l’ordre et la sécurité publique» puis de diffamation, respectivement par l’agent judiciaire de l’Etat et le président de la République, il risquait une peine de prison allant de six mois à cinq ans. A cette époque-là, de nombreux observateurs avaient dénoncé une manœuvre politicienne visant soit à le disqualifier de la course à la présidence soit à mettre l’opposition sous pression. S’étant publiquement livré à des déductions sur l’état de santé d’Ali Bongo, en juillet 2019, Jean-Rémy Yama fut contraint de quitter le pays pour échapper à des poursuites judiciaires. Une fois de plus, l’opinion y avait vu un subterfuge visant à étouffer le débat sur les capacités physiques et cognitives du président de la République après l’accident vasculaire et cérébral survenu à Riyad en novembre 2018.
Entendre la demande populaire
A force d’intimidations, les forces sociales ont appris à vivre sous la menace de la justice. Leurs membres ont appris à risquer l’emprisonnement en raison de leurs opinions et activités. Mais, ils n’ont pas pour autant abdiqué leurs droits. Ils n’ont pas non plus intégré les régimes d’exception. Surtout, ils peinent à comprendre comment des dérogations à l’Etat de droit peuvent être prorogées ad vitam aeternam, sur simple décision du gouvernement. Comme les populations, ils se prononcent pour le retour à la vie normale. Comme elles, ils exigent la fin de l’état de catastrophe sanitaire. Même si le gouvernement feint de ne pas l’avoir compris, tel est le fin mot de la «Révolution des casseroles». Quand bien même il se veut droit dans ses bottes, les populations ont clairement dit avoir soupé de toutes les restrictions. Et, les arrestations des jeunes activistes n’altèreront en rien ce message.
Le gouvernement aura beau s’enfermer dans le déni, la «Révolution des casseroles» aura aussi été marquée par des bavures policières ayant entraîné des pertes en vies humaines. Au lendemain des événements, une vidéo y relative a circulé. Quelle suite à cette affaire ? Pourquoi les activistes et pas les agents coupables de manquements à leur devoir ? Au-delà du simple bruit des casseroles, ne faut-il pas entendre la demande populaire ? Au lieu de recourir à la justice, ne faut-il pas plutôt réfléchir à une gouvernance de responsabilité ? Comme l’embastillement de quelques activistes, la judiciarisation de la vie publique ne sera jamais appropriée : ni les exigences des forces sociales ni les attentes des populations n’y trouveront des solutions. Dans le contexte particulier imposé par la covid-19 et au vu des insuffisances de la stratégie gouvernementale, l’écoute, la bienveillance et le sang-froid s’imposent comme jamais.