Conjuguée à l’altération des liens sociaux, l’effondrement de l’économie populaire doit alerter sur les risques de déflagration.
Pour le petit peuple, la stratégie de lutte contre la covid-19 a eu deux conséquences majeures : paupérisation et, altération des liens sociaux. Courue d’avance, l’effondrement de l’économie populaire a été accéléré par l’absence de mesures d’accompagnement. Abandonnés à leur sort, les acteurs de ce secteur ont vu leurs conditions d’existence se dégrader. Incapables d’anticiper ou de respecter une planification à moyen terme, les pouvoirs publics font comme s’il ne pouvait en être autrement. Pourtant, dès le déclenchement de la pandémie, de nombreux experts avaient tiré la sonnette d’alarme, mettant en garde contre la propension à chausser les bottes des Occidentaux. Autrement dit, il était alors conseillé de ne pas reproduire les mesures arrêtées par les gouvernements européens.
Menace pour la cohésion sociale
Malgré les effets de manche du gouvernement, la paupérisation est manifeste, les récentes mesures en faveur des tenanciers de bars ne suffisant pas à masquer la réalité. Sur les 333 dossiers enregistrés, 139 ont été jugés incomplets et, 197 éligibles. En guise d’aide, des enveloppes variant de 200.000 à 300.000 F CFA ont été remises aux plus chanceux. Comme lors de la distribution des kits alimentaires, tout ceci a suscité dépit et dégoût. Comme au moment de la prise en charge des loyers, tout cela a généré colère et consternation. Comme quand il s’était agi de la gratuité des consommations en eau et électricité, d’aucuns y ont vu une blague de mauvais goût. «Le gouvernement s’est foutu de nous», a lancé Joël Mapangou, taulier, ajoutant : «A moins que l’on dise que c’est le président de la République qui veut se moquer des Gabonais.»
Dans l’oreille du gouvernement, ces réactions devraient résonner comme un cri de détresse. Censées l’alerter sur le désespoir des populations, elles devraient l’inciter à réfléchir aux conséquences de la dégradation des liens sociaux. Loin de l’indifférence de ces derniers mois, l’équipe Ossouka Raponda devrait se soumette à une évaluation de ses options. Loin de toute arrogance puérile, elle devrait initier un exercice de contextualisation. Au-delà des considérations politiciennes, les populations sont éreintées par ses choix. Malgré les faux-semblants, elles en ont soupé, au point d’en appeler à un retour à la vie normale. Ne pas y voir une menace pour le vivre-ensemble et la cohésion sociale serait irresponsable. Après tout, entre le couvre-feu et la distanciation physique, les gens sont invités à s’extraire de la société pour mieux la protéger. Sommés de cultiver l’individualisme, ils doivent pourtant assurer la survie de la société.
Rompre avec le mimétisme aveugle
Contradictoires et inquiétants, ces mots d’ordre ne conviennent pas à une nation en construction. Même si le gouvernement ne s’en rend pas compte, la distanciation physique contribue à la détérioration des liens sociaux, compromettant la cohésion sociale. Concrètement, les liens marchands, politiques ou communautaires se sont distendus. Les biens et services s’échangent difficilement. Dans la vie publique, la négociation, la concertation et la consultation sont de moins en moins légitimes. A la limite, ces principes sont proscrits. Au plan associatif et communautaire, des convergences de vue peinent à émerger, faute de rencontres et de de discussions. Est-ce la meilleure manière d’établir des synergies, rétablir la confiance et faciliter la naissance d’une communauté de destin ? On peut en douter.
Certes, distanciation physique n’est pas synonyme de distanciation sociale. Certes, personne n’est tenu de réduire sa connectivité sociale. Certes, les technologies numériques et réseaux sociaux offrent des palliatifs à l’isolement. Mais, le virtuel n’aura jamais l’impact du réel. La distanciel n’atteindra jamais l’efficacité du présentiel. Si tel était le cas, les Géants du Web n’auraient pas besoin de quartiers généraux. Les ministres en charge de l’Intérieur et de la Santé auront beau conseiller le télétravail ou vanter les visioconférences. Ils ne parviendront pas à en faire l’équivalent du travail en usine ou au bureau. Surtout dans un contexte où les connexions internet sont onéreuses et de mauvaise qualité avec, en prime, des coupures intempestives d’électricité. Pour toutes ces raisons, le risque de déflagration sociale est à prendre sérieux. Le gouvernement peut-il l’entendre ? A-t-il la capacité de rompre avec le mimétisme aveugle ? Dispose-t-il de personnes capables d’inventer des solutions adaptées au contexte ? Comme dit l’adage, les Gabonais reconnaîtront le maçon au pied du mur.