Le gouvernement ne pouvait-il pas attendre la fin des 45 accordés par le Parlement le 14 décembre dernier ? En refusant d’attendre le 28 janvier prochain, il a pris le risque de décrédibiliser sa stratégie.
Comme on pouvait le redouter, le gouvernement a décidé de corser le dispositif de lutte contre la covid-19. A compter du 25 du mois courant, un couvre-feu sera instauré sur l’ensemble du territoire national de 20h à 5H du matin, le port du masque sera obligatoire dans tous les lieux publics et des check-points seront installés. Les manquements à ces préconisations donneront lieu à des amendes pouvant varier de 25.000 à 200.000 FCFA. C’est dire si les déplacements deviendront plus difficiles, réduisant encore un peu plus l’activité économique. C’est aussi dire si les forces de l’ordre ont là la prétexte rêvé pour organiser le racket. Comme l’a reconnu le ministre de l’Intérieur lui-même, «il y aura forcément des désagréments.» Le gouvernement a-t-il volontairement fait l’impasse d’une évaluation des conditions de mise en œuvre de son dispositif ?
Porte ouverte à la corruption
Au Gabon, la lutte contre la covid-19 est encadrée par la loi n°003/2020 relative aux catastrophes sanitaires. Or, si l’article 4 de ce texte autorise le gouvernement «à prendre (…) toutes mesures de nature à prévenir, lutter et riposter contre (la covid-19)», l’article 5 l’oblige à en informer le Parlement «sans délai.» Cette contrainte a-t-elle été respectée ? L’Assemblée nationale et le Sénat étant en intersession, on peut en douter. N’y a-t-il pas vice de procédure ? Au-delà, on s’interroge sur la validité des amendes. Et pour cause : aux termes de la loi, elles correspondent aux pénalités de «4ème et 5ème catégories prévues par l’article 61 du Code pénal.» En clair, elles doivent varier de 80. 000 à 100.000 F CFA et peuvent être portées «au double en cas de récidive.» D’où Lambert Noël Matha et Guy-Patrick Obiang sortent-ils les montants annoncés ? On aimerait savoir.
De même, on se demande comment se fera le recouvrement. Par définition, les amendes sont des deniers publics, payables au Trésor public. Consignées dans des procès-verbaux de constatation des infractions, elles donnent lieu à la délivrance de quittances. Les forces de défense et de sécurité sont-elles habilitées à percevoir des amendes ? N’est-ce pas la porte ouverte à la corruption et aux chamailleries ? Comment les montants exigibles seront-ils évalués ? A la tête du client ? N’est-ce pas la voie vers l’arbitraire et les abus en tout genre ? Le ministre de l’Intérieur a beau indiquer avoir recommandé aux agents une forme d’auto-surveillance, on les voit mal ne pas abuser de leur position. Il a beau mettre en garde contre les «passe-droits», on n’imagine pas les agents ne pas tirer bénéfice d’une telle situation.
Polémique
Par ailleurs, on se demande quelle définition le gouvernement donne-t-il de la notion de «lieux publics.» Si le décret n° 0287 du 17 mai 2016 parle de «lieux ouverts au public», il les définit comme des «lieux d’accès au public à quelque titre que ce soit». Y sont notamment listés, les «moyens de transport collectif terrestres, aériens, maritimes, fluviaux et lagunaires pouvant accueillir des voyageurs ou des passagers qu’ils soient gérés par une entreprise publique ou privée.» Chacun peut le constater : les véhicules à usage personnel ou privé ne sont pas considérés comme des lieux publics. D’où vient alors l’idée d’y rendre obligatoire le port du masque ? Le gouvernement cherche-t-il à protéger les populations ou à s’immiscer dans leur vie privée ? Veut-il donner aux forces de défense et sécurité des pouvoirs exorbitants hors de toute base légale ? Entend-il compliquer leurs relations aux citoyens ?
Le gouvernement dit s’inquiéter de la «résurgence de la pandémie dans le monde et (de) la mutation du virus.» Affirmant avoir constaté un «relâchement» dans le respect des mesures barrières, il annonce le passage à «la phase coercitive.» Mais son dispositif parait hors sol, générateur de conflits et peu respectueux des procédures. S’il avait voulu faire les choses correctement, il aurait laissé s’écouler les 45 jours accordés le 14 décembre dernier. Il pouvait attendre le 28 janvier prochain pour repréciser les choses. En agissant comme il l’a fait, il a laissé le sentiment de n’avoir cure des formes et d’agir de façon unilatérale. A moins d’une semaine près, il a pris le risque de créer l’embrouillamini, décrédibilisant encore plus sa stratégie.