Alors que l’Institut africain d’informatique (IAI) est confronté à d’importantes difficultés structurelles et financières depuis quelques années, au point que les principaux bâtiments de cet établissement inter-États basé à Libreville tombent en ruine dans l’indifférence quasi totale de ses 12 États membres, Casimir Oyé Mba est convaincu que cette école a désormais vécu et que l’on ne peut plus rien en tirer. 50 ans après sa création, dans la tribune publiée ci-après, l’ancien gouverneur de la BEAC appelle à remplacer l’IAI par «un institut gabonais d’informatique tourné vers l’avenir».
QUE FAIRE DE L’IAI ?
La semaine dernière, me rendant au cimetière de Mindoubé pour l’inhumation d’un proche, je suis passé devant l’I.A.I (Institut Africain d’Informatique).
J’ai pu ainsi, d’un rapide coup d’œil, entrevoir l’état de délabrement de cet établissement d’enseignement. Il m’est aussi revenu à l’esprit qu’il n’y a pas très longtemps, le journal l’UNION avait publié un article sur la situation de cette grande école multinationale.
On se rappellera que dans les années 70 du siècle dernier, au moment où la technique informatique commençait à peine à poindre sur notre continent, une douzaine d’États Africains Francophones ont décidé de créer une structure commune de formation à l’informatique. Je me souviens même avoir assisté à la cérémonie d’inauguration officielle de cette école par le Ministre gabonais des Finances, Augustin BOUMAH, qui en assurait alors la tutelle.
Cette initiative africaine, prémonitoire en ce qu’elle montrait que nos pays avaient perçu assez tôt l’importance que prendrait l’informatique, bénéficiait de l’appui de la France. Cet accompagnement s’est concrétisé notamment par le détachement d’un jeune Français, ingénieur passé par POLYTECHNIQUE, filière française la plus prestigieuse de formation des ingénieurs, pour y servir comme premier Directeur Général.
Cette école a été chargée de porter les ambitions de nos pays en formant les hauts cadres africains, pour nous arrimer à l’évolution technologique d’un monde de plus en plus ouvert et compétitif.
Je crois pouvoir dire que l’IAI, dans ses 15-20 premières années d’existence, a rempli honorablement sa mission.
J’ai eu en effet à recruter au siège central de la B.E.A.C une demi-douzaine d’informaticiens, formés pour certains à Libreville et pour d’autres en France. J’ai constaté que tous remplissaient tout à fait normalement leurs fonctions dans les services où ils avaient été affectés. J’en ai conclu – empiriquement – que l’I.A.I donnait à l’époque une formation valable.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Apparemment, le tableau s’est complètement brouillé.
Les installations matérielles de l’institut se sont gravement dégradées : bâtiment administratif, salles de cours, logements des étudiants sont indignes d’un tel établissement. Les herbes folles ont envahi l’espace.
Les enseignants et le personnel administratif ne sont pas payés depuis de longs mois. Ils continuent quand même à faire cours, mais retiennent les notes, ce qui bloque la délivrance des diplômes et des attestations de résultats.
Comme souvent sous nos latitudes, la plupart des États ne s’acquittent plus de leurs contributions depuis des lustres, malgré les tournées de rappel de Ministres gabonais dans les différentes capitales. Certains ont même cessé d’envoyer des étudiants à l’I.A.I et préféré créer des structures de formation locales.
Ne continuons pas à nous voiler la face. L’I.A.I n’intéresse plus les autres pays membres. Le Gabon doit en tirer les conséquences et le « nationaliser ». S’il le veut, il a la capacité de le prendre en charge, éventuellement avec l’accompagnement de partenaires extérieurs, publics et privés. Face au même type de difficultés, le Cameroun l’a fait depuis longtemps pour le l’E.S.I.J.Y (École Supérieure Internationale de Journalisme de Yaoundé).
La réussite d’une nationalisation de l’I.A.I est cependant conditionnée par le sérieux et la rigueur que nous imprimerons à la nouvelle structure. Ne perdons pas de vue que par-delà la formation de techniciens, l’informatique est devenue un enjeu de stratégie et de souveraineté nationales, de par l’élargissement continuel du spectre de ses applications et ses prolongements dans le numérique et l’intelligence artificielle.
Pour parler simple et clair, aucun partenaire ne se joindra à nous si nous introduisons dans la future école d’informatique le « houya-houya » national. Bien au contraire, il faudra tourner le dos à nos mauvaises pratiques et viser dans tous les aspects du fonctionnement de l’école les standards internationaux : recruter des enseignants (gabonais ou étrangers) de qualité, les accueillir et les payer correctement, réhabiliter les installations et les maintenir en bon état, admettre les étudiants sur la seule base de leur niveau….
Bien entendu, cette école « new-look » requiert des moyens financiers adéquats. Le budget de l’État y pourvoira sans doute pour la majeure partie. Il n’est cependant pas déraisonnable d’imaginer que l’école elle-même doive trouver des ressources complémentaires dans des activités annexes (perfectionnement d’employés et cadres d’entreprises ou d’administrations publiques, cours vespéraux d’initiation à l’informatique, contrats de prestations informatiques, recherche et développement, etc.). L’identification et la mise en place de ces activités annexes devront figurer dans les contrats des dirigeants de l’école.
Vous l’aurez compris. Ma position se résume sommairement ainsi :
– L’I.A.I des débuts est déjà morte et ne reviendra plus ;
– Prenons-en acte avec lucidité et responsabilité ;
– Faisons vite à la place un institut GABONAIS d’informatique tourné vers l’avenir.