Si Ali Bongo a longuement disserté sur la covid-19, il n’a nullement évoqué la révision de la Constitution. Depuis lors, les uns et les autres s’efforcent de comprendre cet oubli.
Oubli involontaire ou non-maîtrise des événements ? L’opinion balance. A la faveur de son message de vœux, le président de la République a longuement disserté sur la covid-19. Mais, il s’est gardé d’évoquer le fait politique majeur de l’année échue : la révision de la Constitution. Depuis lors, les uns et les autres s’efforcent de comprendre ce silence et d’en mesurer la portée. Comme toujours, les zélateurs tentent de banaliser les faits, les réduisant à une simple péripétie. Comme souvent, leurs adversaires jouent la gravité. En leur entendement, tout cela traduit une réalité : la dernière modification de la loi fondamentale n’a pas été portée par son initiateur supposé. Autrement dit, elle s’est faite dans son dos et en dehors de lui.
Confiscation du débat, détermination à passer en force
Aux termes de la loi, l’initiative de la révision constitutionnelle appartient concurremment au président de la République et au Parlement. Si l’avis de Cour constitutionnelle est requis, le gouvernement est entendu en Conseil des ministres, c’est-à-dire dans le cadre d’un organe présidé par le président de la République. Sous aucun prétexte, une telle décision ne peut émaner d’une autre autorité. Pour rien au monde, sa mise en œuvre ne peut être l’affaire d’une autre institution. Pour tout dire, le président de la République se situe en amont, en aval et même dans le lit du processus. C’est dire s’il est tenu de s’en expliquer auprès du peuple souverain. C’est aussi dire si son silence jette le doute sur la légalité de la dernière réforme. C’est enfin dire si tout cela donne du sens aux accusations portées contre certaines personnalités.
Annoncé au terme du Conseil des ministres du 18 décembre 2020, la dernière révision constitutionnelle portait sur 26 articles. Ayant modifié le régime de l’intérim et de la suppléance, elle a induit des modifications dans la désignation des membres du Sénat et le rythme de travail du Parlement. De même, elle a redéfini les compétences de la magistrature, notamment celles de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation. Défendu le 23 décembre dernier devant l’Assemblée nationale, ce texte a été adopté moins de 24 heures plus tard. Validé par le Sénat en des termes identiques, il a été entériné par le Congrès du Parlement le 29 décembre 2020, c’est-à-dire 11 jours après sa présentation en Conseil des ministres ! Malgré les réserves exprimées par le corps social, cette réforme a été conduite au pas de charge, sans concertation aucune. Face à cette confiscation du débat, eu égard à cette détermination à passer en force, la parole d’Ali Bongo était fortement attendue.
La Constitution, un texte mineur ?
Sauf à militer pour un positionnement individuel, personne ne peut se satisfaire de cette conjugaison de célérité et d’opacité. A moins d’œuvrer pour une redéfinition des pouvoirs constitués, nul ne peut se réjouir du silence du président de la République. Même la légalisation du mariage coutumier a pris plus de temps, mobilisant le corps social. Même la modification de certaines dispositions du Code du travail a davantage suscité des échanges francs et directs. Dans l’un et l’autre des cas, Ali Bongo s’était exprimé en amont. Pourquoi ne s’est-il pas plié à cet exercice au sujet de la Constitution ? La tiendrait-il pour un texte mineur ? Le «détenteur suprême du pouvoir exécutif» peut-il initier une telle réforme sans s’en expliquer devant le peuple souverain ? Depuis deux ans, de nombreuses forces sociales n’ont eu de cesse de pointer les flottements institutionnels. Malgré les mises en scène, elles l’ont dit et répété : «Les impostures se succèdent au sommet de l’État», selon la formule du collectif Appel à agir.
Pour se faire une idée de la résonance du silence du président de la République, il faut l’inscrire dans la polémique sur la vacance du pouvoir. Il faut se souvenir des doutes sur les réelles capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo. Volens nolens, là résidait l’intérêt de sa prise de parole publique. Autrement dit, son message de la saint Sylvestre avait un objectif indicible mais clair : rassurer l’opinion quant à la paternité de la dernière révision constitutionnelle. S’ils ne veulent pas continuer à alimenter le soupçon, ses proches doivent y réfléchir. S’ils espèrent gagner en crédibilité, ils doivent essayer de réparer ce monumental raté. Dans cette perspective, une opportunité s’offre à eux : la cérémonie de présentation des vœux.