Certes, « les constitutions ne sont point des tentes dressées pour le sommeil ». Tout de même, l’annonce d’une nouvelle révision de la constitution, deux ans seulement après les amendements de 2018 opérés à la suite du « dialogue » de 2017, est pour le moins discutable. Nous voyons déjà s’élever dans le pays la diffusion d’un sentiment de malaise, de perplexité, de désarroi, d’angoisse, d’inquiétude et de colère qui affecte la plupart des gabonais tant les points inscrits à l’ordre du jour de ce projet de révision sont troublants.
Le bien-fondé de ce projet de modification de la constitution n’est pas pour l’heure exposé. Mais ce qui est certain, il ne vise pas à améliorer notre métabolisme politique, social ou moral. Pour autant que l’on sache, le PDG dispose, en l’état actuel, des majorités nécessaires à l’Assemblée Nationale et au Sénat pour gérer toute transition qui s’avérerait nécessaire. Il n’est donc pas utile de triturer la constitution à moins que cette opération ne cache des intentions inavouables.
De fait, cette entreprise ne semble pas non plus viser le renforcement des principes de la République conçue pour fonder la liberté et l’égalité pour les citoyens à la construction d’une chose commune qui ait autorité légitime pour donner forme à leur vie. Au contraire, avec ce projet, on voit combien nous nous sommes éloignés de la perspective d’une conscience commune et du sentiment d’une chose commune à se partager.
Les modifications projetées sont si importantes que, si le projet était maintenu, il faudrait alors les faire adopter par voie référendaire pour leur donner une assise démocratique et les entourer d’un minimum de consensus, autrement une telle modification, accoucheuse d’arbitraire se trouverait préparer des droits despotiques à un petit groupe de personnes qui mettraient en cause les institutions et les principes sur lesquels les Etats modernes s’appuient avec confiance pour se régénérer par le haut.
Comme chacun le sait, la constitution est, par définition à un moment donné, la synthèse des principes et des règles sur lesquels les citoyens d’un espace géopolitique se sont accordés pour vivre ensemble. La proposition de révision de la constitution présentée par le gouvernement, et qui porte notamment sur la gestion d’une éventuelle période de vacance du pouvoir et sur la composition du Sénat soulève à la fois des interrogations sur son opportunité, sa pertinence et finalement sa légitimité.
En premier lieu, la dernière vacance du pouvoir est survenue en 2009 c’est-à-dire il y a maintenant 11 ans. Elle n’a pas donné le sentiment d’un flottement particulier dans le fonctionnement de ses mécanismes. Le schéma de gestion de cette vacance était clair. La présidente du Sénat était là pour assurer la continuité au sommet de l’Etat.
Cet intérim n’a pas donné lieu à des débordements. L’intérimaire a bien respecté la lettre et l’esprit de la constitution et ne s’est pas portée candidate à la succession du président disparu. Les questions qui se sont posées sur la nomination ou non d’un premier ministre et d’un gouvernement intérimaires inédites à l’époque, ont été réglées et ont désormais établi une jurisprudence. Au demeurant, elles n’ont pas suscité de protestation véhémente de la classe politique. Seul le parti au pouvoir a enregistré des soubresauts du fait des candidatures simultanées de cinq de ses membres dont celles du premier ministre et celle du ministre de la défense sortants.
L’initiative du gouvernement surprend donc et appelle plusieurs questions :
1. Pourquoi le gouvernement lui-même soulève-t-il la question de la vacance du pouvoir et propose-t-il d’en modifier l’architecture ?
2. Pourquoi le gouvernement relance-t-il lui-même une polémique sur la capacité et l’incapacité du Président de la République alors que cette question semblait s’essouffler avec la reprise par ce dernier d’une activité diplomatique plutôt soutenue et l’organisation récente à Libreville du dernier sommet de la CEEAC ?
3. Que reproche-t-il au schéma actuel de gestion de la transition en cas de vacance du pouvoir ?
4. Quelle est la légitimité d’un Sénat sur le départ de discuter et de statuer, dans le cadre d’un congrès à venir à très bref délai, sur des questions qui engagent durablement l’avenir institutionnel du pays ?
Le projet de triumvirat surprend d’autant plus qu’il suggère de former un trio avec deux présidents de deux institutions et un ministre normalement placé sous l’autorité d’un premier ministre lequel basculerait sous l’autorité de son ministre en cas de vacance du pouvoir. Le montage est d’autant plus tiré par les cheveux qu’on n’explique pas en quoi le schéma actuel est défaillant. Bien au contraire, le futur schéma est de nature à induire des tiraillements au sommet de l’Etat et donc de l’instabilité.
Sur un tout autre plan, la réforme suggère de distinguer deux catégories de sénateurs les uns votés et d’autres nommés. Une telle réforme non seulement irait à l’encontre d’un renforcement de la démocratie dès lors que l’opinion du président élue se trouverait ainsi décuplée par la présence de ses obligés lors de chaque élection au sein de cette chambre du parlement ; mais encore elle marquerait un nouvel alourdissement structurel des charges de l’État en contradiction avec la situation des finances publiques. On imagine en effet que dans ce cas le nombre des sénateurs serait revu à la hausse alors que la situation des finances publiques commande de poursuivre le dégraissage du mammouth en gardant désormais le nombre de 52 sénateurs et en réduisant le nombre de députés.
Les adaptations de convenance de la constitution à des schémas subjectifs relèvent de manipulations dangereuses. Elles sont destinées à donner les apparences de la légalité et de la légitimité à une manœuvre qui ne trompe personne. Il s’agit non pas de traduire un besoin d’amélioration du vivre ensemble mais une volonté d’asseoir une captation durable du pouvoir par un groupe de personnes en confisquant toute possibilité de changement par le biais de mécanismes appelés à exercer des effets de cliquet.
Il n’y a pas de meilleur moyen d’introduire dans un pays comme le nôtre de l’instabilité, de compromettre le futur que de neutraliser les institutions par des constructions qui rendent impossible tout changement et imposent un intenable statu quo. Une telle vision du pouvoir en décalage avec la société, les enjeux de la période et les aspirations du temps se heurtera, tôt ou tard, à la volonté de participation de tous