Normalien, diplômé de Sciences Po et de la LSE, ancien professeur à l’ENS et à l’ENA notamment, PDG de PAI Partners, société européenne de capital-investissement, Lionel Zinsou était au dernier New York Forum Africa. Gabonreview l’a amené à en parler, mais aussi à aborder la question de l’indépendance monétaire de l’Afrique et bien d’autres aspects économiques du continent noir. Rencontre furtive avec une sommité de l’économie.
Voudriez-vous vous présenter pour les jeunes lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Lionel Zinsou : Alors, je suis Français-Béninois. Je suis président d’une société de financement qui est le leader des capitals investments en France qui s’appelle PAI, ce qui veut dire Paris d’Affaires industrielles. Auparavant j’étais banquier, j’étais dans l’industrie chez Danone et j’ai été formé comme économiste, professeur d’économie. Donc, quand j’étais jeune, j’enseignais l’économie aux jeunes gens à l’université française, à l’école normale supérieure dont je suis moi-même issu. Voilà, j’ai 59 ans. Quant à l’Afrique, je suis citoyen béninois et le président français m’a demandé de préfigurer, d’organiser une fondation du secteur privé et du secteur public pour qu’ils coopèrent ensemble pour la croissance de l’Afrique. Secteur privé, aussi bien africain que français. C’est utile d’être à Libreville parce que comme il y a ici la rencontre d’énormément de responsables d’entreprises, des dirigeants publics, ça permet d’avoir de nombreux contacts.
Le New York Forum Africa c’est donc quoi pour vous ? Un lieu qui permet d’améliorer et de créer des relations d’affaires ?
Oui, c’est un petit peu la même magie que Davos. Quand vous êtes un homme d’affaires, vous venez pour rencontrer vos pairs. Au fond c’est une façon de rencontrer les gens qui sont plus en dynamiques en Afrique. Mais vous venez aussi pour rencontrer les autorités publiques. Vous avez les chefs d’Etat, de nombreux ministres et vice et versa. Quand vous êtes un dirigeant politique, c’est utile de savoir que vous allez pouvoir rencontrer des dizaines, des centaines de chefs d’entreprises de nationalités différentes. Les deux populations s’aimantent l’une l’autre et c’est très bien comme ça. C’est une excellente équation.
Il est une question qui s’adresse à l’économiste, au financier que vous êtes : c’est le débat, de retour ces derniers temps, sur la possibilité d’une indépendance du franc CFA pour que l’Afrique crée sa monnaie. Votre avis sur la question ?
C’est un débat que j’ai souvent, notamment avec les jeunes, avec les intellectuels aussi qui pensent que nous n’avons pas d’indépendance monétaire. Moi, je pense que nous avons une indépendance monétaire. Nous avons une devise, le franc CFA qui est un vecteur de stabilité et en plus c’est une devise forte. On a besoin de devise forte pour nos importations. Cette devise n’a jamais empêché la croissance de la zone franc qui est la même que celle du reste de l’Afrique.
En longue période, il n’y a jamais eu de différends parce qu’elle n’a jamais été un handicap de croissance, un handicap de compétitivité et par ailleurs, c’est bien les chefs d’Etat et de gouvernements qui, avec les gouverneurs de banques centrales, fixent ce qui compte dans les politiques monétaires, c’est-à-dire, les politiques réglementaires, tout ce qui concerne la réglementation, la surveillance des intermédiaires financiers des banques qui fixent les taux d’intérêts et tous les attributs de la politique monétaire.
La seule chose c’est que nous sommes en parité fixe avec l’euro comme la plupart des pays dans le monde parce que vous êtes en parité fixe en général avec vos principaux partenaires de l’échange. Si vous êtes l’Arabie Saoudite, si vous êtes Hong Kong, vous faites des efforts considérables pour rester en parité fixe, ce qu’on appelle le PEG avec le dollar. Si vous êtes le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, vous avez des monnaies non convertibles, vous faites des efforts, réussis d’ailleurs, pour être en parité fixe avec l’euro. Pourquoi ? Parce que c’est l’euro qui est la devise de vos principaux partenaires de l’échange. La parité fixe n’est en rien un abandon de souveraineté monétaire. Dès qu’on deviendrait complètement une monnaie délié d’un accord avec la France ou l’Europe, on aurait plus qu’un souci, c’est de mobiliser des moyens considérables pour rester à un taux fixe de façon à créer le moins de volatilité possible.
Il y a en revanche un fantasme : c’est que beaucoup de gens craignent qu’on ne gère pas nos devises. On gère nos devises. Ce n’est pas parce qu’il y a un compte d’opération au trésor français que ce n’est pas la banque centrale, aussi bien en zone BCEAO que BEAC, qui gérerait ces avoirs. C’est bien les banques centrales. Tout d’un coup, on se réveille quand il y a scandale : la BEAC a passé des contrats dans un scandale majeur avec la Société générale qui lui a vendu des produits toxiques. Ça veut dire que c’est bien la BEAC qui décide de ces allocations d’actifs. Mais notre jeunesse continue à croire que c’est l’un des derniers chainons du colonialisme comme s’il si nous n’avions pas la gestion de nos avoirs, la gestion de nos taux d’intérêts, de nos lois et réglementations en matière monétaires. L’intérêt ce n’est pas cela du tout. L’intérêt c’est de rapprocher les francs CFA des zones de relativité moindres, des monnaies indépendantes du Nigéria, du Ghana, de la République démocratique du Congo. C’est ça l’important.
Un jour, on va faire un serpent monétaire et ce sera la première étape de la monnaie africaine avec laquelle on essaiera de limiter les marges de manœuvre des autres monnaies autour du franc CFA qui est une monnaie de plus grande stabilité, en essayant de faire qu’on ne monte pas ou ne descende pas de plus 10% autour de ces monnaies centrales. Faire un serpent monétaire africain, oui. On aura les bénéfices du francs CFA tout en gardant des monnaies différentes parce que nous avons quand même des économies différentes. Nous n’avons aucun problème de souveraineté monétaire. Elle est complètement exercée. En revanche, ce n’est pas la perception des opinions publiques. Donc, il y a un grand problème politique, un grand problème de communication sur ces questions monétaires. En général, quand je dis ça, les étudiants qui avaient commencé à m’écouter avec pondération sont debout sur les tables, très fâchés parce que c’est un sujet, en réalité, très symbolique. Posez cette question à un magicien, il ne faut pas la poser à un économiste.
Pour un économiste, sauf des économistes alter mondialistes, il y a des économistes qui le pensent. Il y en a même à l’Université de Libreville, mais, franchement, un économiste professionnel ou un chef d’entreprise, il ne faut pas lui poser cette question. C’est une question magique.
Cela signifie-t-il que l’Afrique peut d’un coup décider de faire que ses réserves ne soient plus abritées par le trésor français ?
ionel Zinsou (2)Non, c’est un mythe. Merci de me poser cette question. Je vous rappelle les scandales sur la gestion en so primes par les banques centrales. Ce sont les banques centrales qui gèrent leurs avoirs en devises, point. Ce compte d’opération au trésor français est un fantasme. Il faut bien voir que le compte d’opération au trésor est un compte par lequel passe les soldes très faibles. Il faut bien que vous ayez en tête que la masse monétaire de la zone franc représente quelques jours de masse monétaire française et quelques heures de masse monétaire en euro. Donc, vous n’imaginez pas qu’il y a un trésor au trésor français. Il n’y a pas de plus petit trésor. Il y a un compte d’opération où se font des écritures qui n’ont pas d’importance. Demandez au gouverneur de la Banques des Etats de l’Afrique centrale, au gouverneur de la Banque centrales des Etats de l’Afrique de l’ouest. C’est eux qui gèrent les devises de notre pays. Le compte des opérations de trésor est un fantasme. Il y a 50 ans, il y a eu de grandes réformes, le trésor français gérait les avoirs en devises des pays de la zone franc. Ce n’est plus le cas. Le Gabon comme mon pays le Bénin sont libres de gérer leurs devises.
Expliquez nous, professeur, la situation monétaire de la République démocratique du Congo (RDC) où il y a une monnaie locale qui circule en même temps que le dollar ?
Regardez, la RDC a une croissance très forte. Ça veut dire qu’il y a une certaine souplesse et que tous les instruments monétaires sont adaptés à toutes les situations. Ne vous inquiétez pas trop. On peut simplement dire que si la RDC avait une monnaie plus stable, on aurait encore une croissance plus forte. Parce que ça apporte quoi la monnaie ? La monnaie peut vous apporter la réduction des facteurs d’incertitudes, de réduction des risques. Quand vous avez ceci dans un pays, vous ne savez pas si la monnaie vaudra 25% de moins ou 25% de plus dans deux ans. C’est un risque supplémentaire. Ça réduit les investissements potentiels. Quant vous savez que votre monnaie sera stable, vous avez un facteur qui facilite la croissance, l’investissement et les échanges. La RDC, quand il était le Zaïre, avait déjà plusieurs réformes dont l’une allait donner le nom de Zaïre à sa monnaie. Il y a eu de nombreux programmes du Fonds monétaire international pour ça et évidement que la RDC a, petit à petit, unifié sur tout son territoire sa monnaie pour avoir une monnaie de plus en plus forte. Parce que la croissance du RDC est si forte que ça va devenir une économie de plus en plus forte. Petit à petit, la monnaie va se stabiliser. Il faut le souhaiter à la RDC. Mais franchement, regarder l’économie réelle, pour l’instant, le désordre monétaire n’empêche pas la croissance de la RDC. C’est ce qui est important. On peut simplement la rendre plus équilibré et plus forte.