Dans une interview accordée à l’Agence gabonaise de Presse (AGP) vendredi dernier, Odome Angone, universitaire gabonaise en résidence professionnelle à Dakar, maitre-assistant CAMES et Maîtresse de Conférences Titulaire UCAD, a apporté des réponses sur son nouvel ouvrage intitulé Femmes Noires Francophones, une réflexion sur le patriarcat et le racisme au 20 et 21ème siècle.
AGP: Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre?
OdomeAngone: En principe, lorsque l’on est enseignante-chercheure de formation comme moi, l’écriture est un exercice quotidien dont la publication d’un ouvrage est un aboutissement logique. À titre d’information, j’ai déjà publié plusieurs ouvrages, Roi-Dieu Coupé (2013, une fiction), Las españolas afro descendientes hablan sobre identidad y empoderamiento (2018, un essai en espagnol publié à Madrid), près d’une vingtaine d’ouvrages collectifs issus de colloques universitaires, des livres qui circulent essentiellement dans des espaces déterminés notamment les laboratoires de recherches et les Universités. Hors des assermentations scientifiques, j'écris d'abord pour l'immense majorité, c'est pourquoi dans Femmes Noires Francophones, j'aborde des questions jugées parfois frivoles, triviales, niaises, dérisoires, parce qu'en réalité, nous sommes, à différentes échelles, le fruit d'un macro-discours. Loin d’un ton professoral, magistral, soporifique et pédant, dans cet ouvrage, j’opte plutôt pour un style qui créé un lien social avec celui ou celle qui me lit afin que l’intéressé(e) m’accompagne, en toute amitié et bienveillance, dans mon aventure. Il ne s’agira donc pas d’une série d’articles analysés selon des normes strictement scientifiques. Car lorsque j'écris un livre dont l'objet d'étude n'est pas délimité à des questions de narratologie et donc de fiction ou de littéralité purement rhétorique, parce qu'il éclabousse le sujet politique et attaque le corps social, c'est pour qu'il soit lu et compris par l'immense majorité.
L’ouvrage en soi est un exercice de rédaction séquentielle qui obéit, sans l’avoir recherché, à des étapes de la vie de l’auteure, correspondant à leur tour à des lieux de résidence spécifiques. Cela permet de comprendre l’interconnexion de ces espaces (en l’occurrence Madrid, Val verdedel Fresno, Dakar, Libreville, Mitzic, Mulhouse, Paris, les aéroports, la nuit, les rêves, la rue, les avions, etc.), les sujets qui les déterminent, les motivations qu’ils soulèvent et leur impact sur une seule et même personne.
La subdivision de l’essai en chapitres correspond, je dois le dire aussi, à des séquences d’un périple migratoire, nourrie par des souvenirs de mon enfance pour faire sens, corrélés à mes réflexions actuelles comme cheminement logique en tant que femme, noire, africaine, subsaharienne et universitaire par rapport, bien entendu, au point culminant à l’origine de ce livre, le treize juillet 2010, le jour où tout a basculé. Je ne dévoilerai pas pour l’heure ce qui s’est passé ce 13 juillet 2010, pour réserver cette surprise à chaque lecteur/lectrice. Je dirais pour répondre à votre question que c’est cette date qui a été le détonateur voire le catalyseur de Femmes Noires Francophones, entre autres.
Être écrivain, pour vous, c’est plus un métier ou une passion?
Les réponses apportées à la question précédente permettent de comprendre que tout enseignant-chercheur est un écrivain en incubation continue. Écrire est une démarche logique et cohérente lorsque notre formation professionnelle induit et conduit à une familiarisation à l’écriture par le truchement des lectures assidues. On dit d’ailleurs assez souvent qu’avoir beaucoup lu nous prépare à l’exercice d’écriture…
Où trouvez-vous votre inspiration?
L’inspiration est comme une boule magique qui s’invite dans n’importe quelle circonstance y compris dans des situations inattendues voire, désespérantes. Je m’abreuve de façon perméable de tout ce que je vois, perçois, sens, ressens autour de moi. Pour s’inspirer et écrire ensuite, il est recommandé d’avoir tous ses sens en alerte. Je pense que la fertilité en matière de créativité et de création est une pièce maîtresse qui permet de donner libre court à notre inspiration. Femmes Noires Francophones est la preuve que la mémoire recèle des pépites. Certains chapitres sont traversés par des anecdotes qui remontent à mon enfance, des histoires que j’ai vues ou parfois vécues il y a si longtemps que les coucher sur papier m’a semblé surprenant en terme de reconstitution. Naturellement, la capacité créative a été déterminante, c’est pourquoi je précise que l’ouvrage n’est pas une accumulation de vécus personnels.
Vos histoires sont-elles tirées de faits réels, d’anecdotes personnelles?
Je n’écris pas tout à fait des fictions, j’ai souvent du mal à me détacher de mes personnages. Je l’ai tentée une fois, certains lecteurs ont aimé mais à titre personnel, ce ne fut pas à la hauteur de mes attentes, parce que j’ai la faiblesse d’être quelque peu perfectionniste et rien n’est donc jamais assez bien pour moi parce que je suis aussi conscience en toute humilité du potentiel.
L’ouvrage Femmes Noires Francophones (Hermann Editions, Paris, 25 novembre 2020) est distribué en 4 chapitres dont «Le Ventre du Patriarcat», «Veuve à trente ans, j’ai découvert le racisme à la mort de mon mari», «L’amour et le poids de la race», «Je ne suis pas la femme noire». Chaque chapitre précédemment mentionné renferme à son tour des sous-chapitres.
Le «je» qui traverse l’essai est politiquement impersonnel puisqu’il s’agit d’un positionnement géo-poéthique et labile, à partir de mes lieux de production subsidiairement devenus lieux de résidence, lieux d’appartenance, lieux d’identification.
Bien que par le style d’un auteur l’on peut par imagination débordante, soupçonner des fragments de sa vie, je dois préciser que cet ouvrage n’est pas une autobiographie mais une série de réflexions corrélées ou annexées à des séquences de vie de l’autrice en tant qu’individu qui interagit au sein d’une société. Je ne pense pas ma vie est si intéressante et friande au point de l’exposer au monde entier à travers un ouvrage. (Rires).
Quel message voulez-vous faire passer?
Veuve à 30 ans, je «découvre» le racisme à la mort de mon mari. Choquée par les codes culturels et les tabous structurels autour du deuil, je décide d’analyser les manifestations post-traumatiques refoulées pour une reconstruction saine des infrastructures psychiques et émotionnelles. C’est dans mes origines africaines que je suis allée puiser les pratiques de cure liées à la perte d’un(e) conjoint(e).
Après plus de dix ans de recherches, j’ai décidé de consigner cette expertise dans un chapitre de Femmes Noires Francophones, d’abord comme mécanisme psychothérapeutique par le pouvoir libérateur de l’écriture, puis pour aller à la rencontre d’une communauté de personnes, sans frontière ni distinction de sexe, d’âge, afin de libérer la parole autour du veuvage lorsqu’on est jeune, qu’on veut/peut «refaire sa vie» et qu’on a encore une sexualité active. Ayant longtemps accompagné des hommes et des femmes par des séances privées, grâce à une méthode qui m’a aidée et que j’ai peaufinée : la thérapie par l’art pleurique, je me propose désormais d’aller à la rencontre du plus grand nombre, notamment les associations qui œuvrent sur ces questions et les personnes touchées, d’abord pour leur dire qu’ils/elles ne sont pas seul(e)s, puis pour créer un espace résilient et bienveillant de déstigmatisation sociale afin de donner de la visibilité aux personnes (monoparentales) ayant vécu (ou vivant) le veuvage en Afrique subsaharienne.
Mère d’une afrodescendante n’ayant connu son (défunt) père qu’à travers les souvenirs de tiers, à partir de son expérience de cheffe de famille en situation monoparentale, je travaille également sur la puissance de l’imaginaire comme pratique de libération et stratégie d’émancipation visant à éduquer nos enfants au renouvellement d’un regard bienveillant vis-à-vis de soi, lorsqu’on est partagé(e)s entre plusieurs mondes et divers codes de représentation.
Première livraison d’une série de réflexions, Femmes Noires Francophones parle avant tout d’expériences d’humain(e)s et de vécus d’humanité(s) pour déconstruire les mythes infondés sur LA femme, africaine et noire, à l’occasion en 2020 du soixantenaire des Indépendances Africaines.
Car LA femme noire et africaine, c’est le silence assourdissant qui ne trouve aucun mot. Et si ce mot existe, accouché au forceps, il ne signifie pas assez, tant il est peuplé de fantasmes et de fantômes. De toute évidence, LA femme noire et africaine est une invention politique pour légitimer un discours, une vision du monde dont le récit ne se suffit plus. LA femme noire et africaine, c’est l’histoire de tant de vies acculées, de tant de ferveurs occultées,de tant de rêves étouffés, de tant d’expériences confinées par des frontières imposées. LA femme africaine et noire n’existe pas. Je parle de cette femme imaginaire reléguée dans un ghetto hors du temps, fixée par des plafonds de verre et des bornes exogènes, dont la couleur et l’origine suffiraient à délimiter le périmètre. Je parle de cette femme à qui on conteste le droit à la parole, cette femme dont on peut devenir expert(e) et porte-parole, de façon surplombante et péremptoire, en toute arrogance et indifférence, sans lui laisser le droit élémentaire et légitime de parler en son nom. Lorsque je dis que jee ne suis pas LA femme africaine, je désavoue les assignations qui ne me représentent pas. Je ne suis pas LA femme noire pour invalider des carcans qui tentent de m’éclipser, à tout prix, et dont l’identification par défaut à une couleur, sans lueur, est un leurre.