S’il sera toujours accusé d’avoir laissé les islamistes prendre pied dans le nord de son pays, Amadou Toumani Touré n’a ni songé à s’accrocher au pouvoir, ni cherché à organiser des élections truquées, encore moins voulu se poser en homme providentiel.
Pas ce commandant en chef des armées peu favorable à la guerre. Surtout pas ce président de la République indécis, renversé par un coup d’Etat. Plutôt ce militaire venu au secours de son peuple, aux prises à un dictateur entêté. Davantage ce «soldat de la démocratie», organisateur d’une conférence nationale, artisan d’une transition réussie. A l’heure où il quitte la terre des hommes, ainsi aimerait-on parler d’Amadou Toumani Touré. On ne peut oublier son rôle dans la chute d’un Moussa Traoré décidé à mâter des manifestations pacifiques. On ne peut minimiser sa détermination à faire passer une charte constitutionnelle rejetant tout parti à base ethnique, confessionnelle ou professionnelle.
Digne, respectueux de sa parole et soucieux de la destinée de son pays
S’il sera toujours accusé d’avoir laissé les islamistes prendre pied dans le nord de son pays, Amadou Toumani Touré restera quand même la figure essentielle du Mali post-indépendance. Contrairement à de nombreux militaires parvenus au pouvoir, il n’a jamais songé à s’accrocher. A l’opposé de nombreux dirigeants de transition, il n’a jamais cherché à se donner un vernis de légitimité par des élections truquées. A l’inverse de nombreux chefs d’Etat, il ne s’est jamais posé en homme providentiel voire en messie. Certes, les conditions de sa sortie furent peu honorables. Mais, personne n’oserait l’accuser d’avoir placé ses intérêts personnels, ceux de sa famille ou de son groupe ethnique au-dessus des préoccupations du peuple malien. Même s’il n’a pas tout réussi, il a su se montrer digne, respectueux de sa parole et soucieux de la destinée de son pays.
Officier dynamique et discipliné, Amaou Toumani Touré a fait ses classes à l’ombre de Moussa Traoré, se voyant même promu commandant du corps des commandos parachutistes, avant de diriger la garde présidentielle. A ces différentes positions, il a pu mesurer combien l’amour du pouvoir peut l’emporter sur le réalisme, la sincérité et la tolérance. Ayant vu son prédécesseur nier les massacres de civils, afficher du cynisme vis-à-vis des familles des victimes et opposer le maintien de l’ordre à la revendication de libertés fondamentales, il découvert les vertus de la démocratie. L’ayant vu décréter l’état d’urgence et le couvre-feu au lieu d’annoncer des réformes juridiques et institutionnelles, il a compris l’importance de la confiance. En analysant son rapport au pouvoir, on peut l’affirmer : sa pratique politique a été façonnée par les événements de mars 1991.
Excroissance de conflits mettant en scène des puissances étrangères
Les combinaisons politiciennes ne l’intéressaient guère : élu sous la bannière indépendante en 2012, il mît en place un gouvernement d’union nationale ; reconduit grâce au soutien d’une coalition cornaquée par l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma/Pasj), il fit du consensus le fondement de sa gouvernance. S’il n’y avait eu la Décennie noire algérienne et la Guerre civile libyenne, son bilan aurait été tout autre. Jamais, il n’y aurait eu d’implantation djihadiste dans le nord. Peut-être aurait-on mis l’accent sur les réformes démocratiques initiées par ses soins, sur son opposition au troisième mandat. Sans doute aurait-on évoqué sa gouvernance économique, marquée par l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneurs. Malheureusement, la lutte contre l’islamisme a tout balayé. Comme si cette guerre n’était pas avant tout une excroissance de conflits mettant en scène des puissances étrangères.
Durant ses années de pouvoir, Amadou Toumani Touré a dû faire face au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), fuyant l’offensive de l’armée algérienne. Il a été confronté à la montée en puissance du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), regroupement de soldats touaregs ayant servi dans l’armée libyenne et cherchant à se protéger d’une armée française intervenant sous le parapluie de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan). Il a également été aux prises à Ansar Dine et au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest, soupçonnés de bénéficier de financements qataris. ATT, comme on l’appelait affectueusement, était militaire de formation et de carrière. Par la force des événements, il entra en politique. Les fréquentes immixtions des armées du continent dans le jeu politique l’ont-elles révulsé, au point de le transformer en pacifiste ? Son attitude procédait-elle plutôt d’une volonté de voir l’Algérie, la France et l’Otan s’engager en première ligne pour réparer les conséquences de leurs actes ? On ne le saura jamais. N’empêche, aujourd’hui comme hier, on célèbrera d’abord l’artisan de la démocratie et le patriote malien.