Le 19 août 2018, une plainte avait été déposée devant le tribunal administratif par l’association Éveille-toi Gabon contre l’Agence française de développement (AFD) concernant les prêts qu’elle avait accordés en novembre 2017 et en juin 2018 au Gabon. Dans un mémoire en défense adressé au tribunal administratif de Paris, les autorités françaises se sont inscrites en faux par rapport à cette demande, arguments forts à l’appui. Une position qui ne présage rien de bon pour l’issue finale de cette action en justice. Explications.
Considérant qu’ils n’avaient « pas pour objet réel de (…) concourir au développement du pays », mais de « maintenir en place le gouvernement du président Ali Bongo Ondimba » (sic !), les plaignants, les activistes Alain Ogouliguendé et Jean-Jacques Bourdette, proches de l’opposition radicale, réclamaient devant le tribunal administratif de Paris la communication des documents préparatoires ayant conduit à leur octroi.
Selon l’hebdomadaire Jeune Afrique, le ministère français de l’Économie et des Finances a récemment écarté cette demande, s’en expliquant de manière très argumentée dans un mémoire en défense adressé au tribunal saisi. « Dans une note signée pour le ministre Bruno Le Maire, le sous-directeur pour les affaires financières multilatérales et du développement, Christophe Bories, refuse (…) la communication des documents », précise l’hebdomadaire panafricain.
Une telle demande « serait de nature à compromettre le fonctionnement et la pérennité du dispositif français de prêts aux États étrangers dans la mesure où, les conditions prévues dans ces accords différant selon les pays débiteurs, la divulgation des accords passés avec un État pourrait avoir des conséquences sur les négociations en cours ou à venir avec d’autres États qui demanderaient à bénéficier de conditions plus avantageuses », argumentent les autorités françaises.
Une telle communication pourrait, ajoute le ministère, « mettre en difficulté la coopération économique et les projets de développement portés par l’AFD dans l’ensemble des pays liés par un accord de coopération monétaire en Afrique centrale ».
Flegme et sérénité à Libreville
Le 6 juin 2019, la Commission française d’accès aux documents administratifs (Cada) avait jugé la requête d’Éveille-toi Gabon recevable mais « sous réserve de l’occultation préalable des mentions couvertes par le secret des affaires (…) ainsi que, le cas échéant, de celles dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France ».
L’affaire est désormais pendante devant le tribunal administratif. Selon Jeune Afrique, « la décision du tribunal administratif de Paris dans ce dossier devrait intervenir d’ici début février 2021 ».
Reste que pour les spécialistes de droit administratif, cette requête n’a aucune chance d’aboutir. « Une telle demande contrevient frontalement non seulement au principe du secret des affaires mais surtout au secret qui régit les relations entre Etats, domaine régalien par excellence, qui plus est caractérisé par la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et la Justice », éclaire un éminent professeur de droit de l’Université Paris II Assas.
« Dans l’hypothèse, en réalité totalement improbable, où le tribunal ferait droit à la requête de cette association, cela voudrait dire que cette décision ferait jurisprudence et s’appliquerait à tous les pays, y compris les Etats-Unis ou les pays européens, ce qui est proprement impensable. Aucun Etat au monde ne fait ça », ajoute l’universitaire.
Coup d’épée dans l’eau
A Libreville, on suit le dossier avec une certaine distance et beaucoup de sérénité. « On est dans le schéma classique des activistes qui saisissent la Justice pour, en réalité, faire du buzz dans les médias et les réseaux sociaux. C’est ça leur objectif final. Ils pensent pouvoir faire pression sur les Etats en sensibilisant l’opinion. Mais c’est en pratique totalement inopérant. Il est naïf de penser que ce genre de procédé peut, à ce niveau-là, influer sur les relations d’Etat à Etat », analyse un poids lourds du gouvernement gabonais.
« Surtout », ajoute-t-il, « ces accords de prêt donnent lieu à beaucoup de fantasmes. C’est un peu comme pour le compte pour opération concernant le franc CFA logé au sein de la Banque de France. Mais, de facto, leur contenu est on-ne-peut-plus classique », précise le ministre. « Ces plaignants seraient en réalité très déçus », ironise-t-il.
Même si personne ne le dit officiellement, le flegme qui prévaut à Libreville s’explique probablement aussi par le fait que, depuis le début des années 2000, le Gabon a énormément diversifié ses partenaires, tant en ce qui concerne les bailleurs que les investisseurs. Un seul exemple : 90 % de ses exportations pétrolières ont pour destination l’Asie. Conséquence : aujourd’hui, le pays a l’embarras du choix.
Au final, quel que soit le destin judiciaire de l’action introduite par l’association Éveille-toi Gabon, celle-ci n’aura qu’un effet : celui d’un coup d’épée dans l’eau.