Appelé à siéger au Conseil des droits de l’homme des Nations-unies (CDH) pour les trois prochaines années, notre pays court le risque d’être accusé de chercher une caution morale.
Définie par Ali Bongo comme «un grand honneur et une lourde responsabilité», cette élection provoque une effusion de joie. Pour les trois prochaines années, le Gabon siègera au Conseil des droits de l’homme des Nations-unies (CDH). Il y travaillera aux côtés de démocraties pleines comme la France et la Grande-Bretagne, de démocraties imparfaites comme le Mexique. S’il frayera avec des régimes hybrides comme ceux du Sénégal, du Malawi ou du Népal, il fera aussi cause commune avec des pouvoirs totalitaires comme ceux d’Ouzbékistan, de Cuba ou de Chine. C’est dire si le CDH se présente comme la parfaire caricature de l’auberge espagnole. C’est aussi dire si on y rencontre tout et son contraire.
Éloquents antécédents
Depuis toujours et particulièrement depuis la présidentielle d’août 2016, le régime en place est peu à son avantage sur la question des droits humains. Pointé du doigt par la société civile, il est régulièrement mis à l’index par des organisations internationales. En septembre 2017, au Comité sur les disparitions forcées, le président de séance avait accusé le représentant permanent auprès des Nations-unies de pratiquer «une politique de l’autruche». Soupçonnant Marianne Odette Bibalou Bounda d’éluder les questions relatives aux émeutes post-électorales, Emmanuel Decaux lui avait asséné : «Je comprends la volonté de tourner la page, encore faut-il avoir lu la page». En mars 2018, lors de l’examen périodique universel, United Nations Watch s’était montré peu convaincue par le plaidoyer du ministre de la Justice d’alors. Non contente d’avoir forcé Edgard Anicet Mboumbou Miyakou d’entériner 143 des 166 recommandations formulées à l’endroit du Gabon, l’organisation non-gouvernementale avait dénoncé un «déclin des droits civils et politiques». Pointant la situation de Jean Ping, elle s’était appesantie sur l’absence de transparence électorale et l’érosion des libertés fondamentales, notamment celles de réunion ou d’expression. Récemment encore, des structures comme Freedom House se sont opposées à l’admission du Gabon au CDH.
Au vu de ces éloquents antécédents, quel sens donner à cette élection ? Spécialisé dans les questions relatives aux droits de l’homme, le CDH n’a pas bonne presse. Accusé de ramer à contre-courant de ses principes-fondateurs, il est soupçonné de servir de caution morale à des régimes peu vertueux. Selon United Nations Watch, «les violateurs des droits de l’homme (s’en) servent (…) pour masquer leurs abus.» En d’autres termes, cet organe intergouvernemental serait «un outil de propagande pour faire taire la dissidence» D’où la mise en garde du directeur général de Human Rights Watch, Kenneth Roth, lui conseillant de «se concentrer sur la protection des droits de l’homme, au lieu d’empêcher la critique à l’encontre des pays membres qui commettent de sérieux abus.» D’où aussi la décision des Etats-Unis de s’en retirer.
Libertés fondamentales menacées
L’appartenance à une entité aussi controversée peut-elle être une victoire ? Politiquement, on peut en douter. Même s’il existe des raisons de se méfier de l’unilatéralisme américain, n’y a-t-il pas risque d’apparaître comme des «violateurs des droits de l’homme» désireux de «masquer leurs abus» ? Quand bien même on peut se satisfaire de la présence d’authentiques démocraties, n’y a-t-il pas risque d’être accusé de vouloir «faire taire la dissidence» ou de chercher à se donner bonne conscience ? En intégrant le CDH, le Gabon n’a nullement gagné en crédibilité. Par contre, certains n’hésiteront plus à le ranger parmi les Etats suspectés de chercher à se couvrir. Après tout, les droits humains ne sont pas une question diplomatique. Consignés dans des textes, ils procèdent de la gouvernance et de la pratique politique. Or, sur ces aspects, les choses sont tombées de Charybde en Scylla.
Tenu pour un outil de verrouillage du jeu politique, le corpus législatif gabonais a continuellement perdu en souplesse. Devenu beaucoup trop coercitif, liberticide et personnalisé, il correspond de moins en moins aux valeurs gravées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Entre les opérations anti-corruption menées à la hussarde et la possibilité offerte à l’administration d’interdire toute réunion publique en la préjugeant «de nature à troubler l’ordre public» ou les pouvoirs exceptionnels attribués au seul président de la Haute autorité de la communication (HAC), de nombreuses libertés fondamentales sont menacées. Avec constance, le Groupe de travail contre la détention arbitraire, Amnesty international ou Reporters sans frontières l’ont souligné, suscitant l’ire du pouvoir politique. L’admission du Gabon au CDH les fera-t-elle taire ? La suite le dira. Pour l’heure, une seule certitude : ces entités ne peuvent se dédire. Où l’on vient à se demander si la candidature du Gabon n’était pas une fausse bonne idée de plus.