La dissolution de l’Agence nationale des grands travaux d’infrastructures (ANGTI) met en lumière une mal-gouvernance chronique. Du président de la République au Conseil d’Etat en passant par le gouvernement, les deux chambres du Parlement, la Cour constitutionnelle ou la Cour des comptes, toutes les institutions ont encouragé, soutenu ou accompagné une initiative pourtant condamnée dès le départ.
Même si les tenants du régime tentent d’en minimiser la portée, ils en ont forcément conscience : la dissolution de l’Agence nationale des grands travaux d’infrastructures (ANGTI) met en lumière une mal-gouvernance chronique. Dessinant une vue en coupe du pouvoir en place, elle pointe la pusillanimité des structures en charge du contrôle des politiques publiques. Dans ce fiasco monumental, la responsabilité de l’ensemble de l’édifice institutionnel est engagée. Du président de la République au Conseil d’Etat en passant par le gouvernement, les deux chambres du Parlement, la Cour constitutionnelle ou la Cour des comptes, toutes les institutions ont failli, à un moment ou à un autre. Ayant fait montre de surdité, d’arrogance, de naïveté ou de couardise, elles ont encouragé, soutenu ou accompagné une initiative pourtant condamnée dès le départ.
Manquements dans l’exécution budgétaire
Sans sombrer dans le procès en sorcellerie, il convient de restituer le déroulement des évènements. Certainement conseillé par le cabinet Performance consulting, le président de la République a, dès février 2010, profité de l’intersession parlementaire pour faire passer une ordonnance portant création d’un établissement public placé «sous son autorité.» S’étant laissé impressionné par des maquettes, le gouvernement a validé l’idée d’une assistance technique internationale, cautionnant la marginalisation de l’administration et des entités existantes. Imperméable aux réserves sur le choix de la tutelle, le Parlement a ratifié les ordonnances sans y apporter la moindre correction. Incapable de se prononcer sur les incompatibilités, la Cour constitutionnelle a laissé le président de la République diriger un conseil d’administration, au mépris de l’article 14 de la Constitution. Sourde aux appels au respect du régime juridique, le Conseil d’Etat a assisté sans mot dire à la violation des lois relatives aux établissements publics et aux modalités d’exercice des tutelles. Il en a résulté un abracadabrantesque montage juridico-institutionnel, conçu au vu et au su de l’ensemble des institutions.
Sur les aspects financiers et opérationnels, les institutions n’ont pas davantage joué leur rôle. Tout en relevant des manquements dans l’exécution budgétaire, la Cour des Comptes n’a pas su se donner les moyens d’obtenir une centralisation des comptes. Autrement dit, elle n’a pas eu l’audace d’exiger un rapprochement entre le compte administratif présenté par la direction générale du Budget et la balance définitive du Trésor public. Passant outre ces réserves, le Parlement a régulièrement voté les lois de règlements, clôturant les exercices budgétaires sans s’interroger sur l’effectivité des réalisations. Menées dans l’arrière-pays, les missions parlementaires d’information et de contrôle ont viré en villégiatures. Comme s’ils redoutaient de remplir leur rôle, les députés n’ont jamais osé interpeller le gouvernement. En dépit des retards constatés dans la conduite des chantiers, ils se sont contentés d’émettre des suggestions, se gardant de toute action décisive.
En tirer les conséquences
Sauf à faire montre d’irresponsabilité, la dissolution de l’ANGTI ne peut être tenue pour un épiphénomène. Au vu du positionnement institutionnel de cet établissement public, il faut en tirer les conséquences politiques et administratives. Eu égard aux effectifs mobilisés, aux conditions de recrutement de son équipe dirigeante, aux colossaux montants engagés, il faut évaluer les pertes en termes financiers. Au regard de la nature des chantiers restés plan, il faut estimer le retard accumulé dans la construction d’infrastructures. Pour tout dire, il faut en déterminer l’impact sur le fonctionnement de l’appareil d’Etat et le développement du pays. Après tout, les infrastructures sont un prérequis au développement. Or, l’ANGTI avait pour mission de veiller à la mise en œuvre du Schéma directeur national des infrastructures (SDNI). Mieux, son rattachement à la présidence de la République était censé lui assurer autonomie, réactivité et efficacité. De ce point de vue, sa dissolution doit être comprise comme l’échec d’une vision, la faillite d’une pratique politique, la preuve de dysfonctionnements institutionnels.
L’ANGTI dissoute ? On ne peut se satisfaire d’un laconique communiqué final du Conseil des ministres. On ne peut se contenter de vagues explications, fournies du bout des lèvres par un ministre manifestement peu au fait des dessous. A moins d’être disposé à rééditer l’expérience dans un autre secteur et avec d’autres partenaires, le pouvoir doit faire son examen conscience. Sur sa propension à s’affranchir des règles comme sur les collusions institutionnelles ou les liaisons affairistes de ses principaux ténors, il doit s’interroger. S’il porte un réel projet national, s’il entend construire une communauté de destin, il doit avoir le courage de se poser ces questions.