Accusés d’avoir «procédé à des inscriptions non conformes à la réglementation en vigueur» ou usé de «faux bulletins», des établissements, des proviseurs, des enseignants, des personnels administratifs et même des élèves ont été sanctionnés, sans autre forme de procès.
En ces temps d’incertitude, l’information a vite fait le tour du pays. Interrogeant la crédibilité de notre système éducatif, chacun y va de son commentaire, toujours plus contrasté. Accusés d’avoir «procédé à des inscriptions non conformes à la réglementation» ou usé de «faux bulletins», des établissements, des proviseurs, des enseignants, des personnels administratifs et même des élèves ont été sanctionnés à l’initiative du ministre de l’Education nationale. Concrètement, plus de 30 chefs d’établissements et personnels administratifs ont été suspendus de leurs fonctions pour une durée de cinq ans, au moins 250 élèves ont été rayés des listes des candidats aux examens de fin d’année puis rétrogradés, 126 autres ont été exclus. Sans autre forme de procès. Malgré les explications lapidaires contenues dans la décision n° 000004 du 07 août 2020, de nombreuses questions restent sans réponse. Le processus de digitalisation des bulletins de note était-il maîtrisé ? La plateforme conçue à cet effet était-elle sécurisée ? Fonctionnait-elle correctement ? Surtout, ces sanctions sont-elles conformes aux textes en vigueur ?
Droit de la Fonction publique
Depuis l’interruption de l’année scolaire pour cause de covid-19, le secteur éducatif navigue en eaux troubles. Entre les hésitations sur la fin de l’année scolaire et les ratés du télé-enseignement, la situation semble évoluer en roue libre. Pourtant, la dématérialisation des bulletins de notes fut décidée. En dépit des réserves émises par certains partenaires, notamment la Convention nationale des syndicats du secteur de l’éducation nationale (Conasysed), elle fut mise en œuvre. Moins de deux semaines plus tard, le scandale éclatait. Sans s’embarrasser de précautions, le ministre de l’Education nationale décidait de sévir. Comme si les lois, règlements et procédures n’étaient d’aucune utilité, il choisissait de distribuer des sanctions au gré de son humeur.
Comme les personnels administratifs, les enseignants et chefs d’établissements sont avant tout des fonctionnaires soumis au droit de la Fonction publique. Or, le statut général et le code de déontologie définissent les modalités de prise des sanctions à leur encontre. Ainsi «lorsque les faits reprochés à (un) agent requièrent une enquête, le dossier est transmis au conseil de discipline». Durant l’instruction, «l’agent bénéficie des garanties des droits de la défense», c’est-à-dire du respect du principe du contradictoire, de l’assistance d’un «conseil de son choix» et des «délais requis» pour l’analyse de son dossier. Mieux, si «tout manquement à ses obligations professionnelles ou à sa déontologie expose l’agent public aux sanctions disciplinaires», cela se fait conformément au «statut dont (il) relève».
Justiciers du dimanche
Patrick Mouguiama-Daouda s’est-il conformé à ces préconisations ? A-t-il agi sur la base de dénonciations ou au terme d’une enquête ? Peut-il en produire le rapport ? A-t-il songé à mettre en place un conseil de discipline ? Quelle en est la composition ? Les personnes mises en cause ont-elles été entendues ? Ont-elles bénéficié de l’assistance d’un avocat ? Sur quels fondements juridiques ces sanctions ont-elles été arrêtées ? Comme la validité de ces décisions, la suite de cette affaire dépend des réponses à ces questions. Si on ne peut soutenir la tricherie et la corruption, on ne doit pas cautionner l’autoritarisme. Encore moins les dénis de droit. Si des fonctionnaires véreux doivent répondre de leurs actes, les ministres ont le devoir de se soumettre à la règle de droit.
Après tout, l’Etat de droit est au fondement de la bonne gouvernance. Aussi, le ministre de l’Education nationale gagnerait-il à apporter la preuve de la régularité de ses agissements. Au-delà des émotions, notre système éducatif ne se réformera pas dans l’arbitraire mais dans une responsabilité partagée. Enseignants, personnels administratifs, élèves, parents ou responsables politiques doivent y mettre du leur. Or, le gouvernement s’est trop souvent affranchi des lois. Du fait de cette gouvernance hérétique, le pays fait eau de toutes parts. Jouer les justiciers du dimanche n’est, dès lors, d’aucune utilité. S’il veut se rendre audible, Patrick Mouguiama-Daouda doit agir avec davantage de transparence et de responsabilité.