Bateau important et navire amiral de la presse écrite au Gabon, le quotidien L’Union est en proie à des récifs économiques pouvant le faire couler. Le média est désormais hanté par le spectre des licenciements, un plan social étant prévu d’ici le 1er janvier 2021. De même, certaines structures du Groupement interne d’entreprises (GIE) Ediprint auquel il est adossé sont confrontées aux effets de la crise sanitaire, à la piraterie et au non-amortissement d’une rotative de 3 milliards.
«D’ici le 1er janvier, Sogapresse va cesser ses activités en tant que Sogapresse», indiquent certaines indiscrétions. La situation économique du distributeur permet la compréhension du quasi naufrage du seul quotidien imprimé du Gabon. Régie de distribution de la presse écrite au Gabon avec son réseau de kiosques et de crieurs proposant aussi bien les journaux nationaux, de L’Union à La Loupe, que les publications internationales, la Société gabonaise de presse (Sogapresse) ne sera donc plus le distributeur de la presse écrite au Gabon. En 8 ans, ses ventes ont baissé de 75%. Le contexte économique, corsé par la pandémie du Covid-19, la mutation de la presse imprimée vers le numérique dans un pays où le taux d’équipement en smartphone est d’environ 95%, ont conduit à une dégringolade des ventes des journaux au Gabon, impactant directement les ressources du distributeur, filiale de la société Presse Thalys en France. Également touchée par la lente érosion des ventes du fait de l’expansion du numérique, celle-ci a déposé son bilan en mai 2020.
Crocs-en-jambe de la HAC et des réseaux sociaux
«Les ventes, aujourd’hui, de toute la presse pèsent à peu près le quart d’il y a 8 ans», indiquent certaines sources mettant un exergue de graves difficultés financières. Bon gré mal gré, la Haute autorité de la communication (Hac) avec ses sanctions, notamment les interdictions de parution de certains titres comme La Loupe et Échos du Nord, est accusée d’avoir participé à la dégringolade des recettes de Sogapresse. En effet, l’absence à la vente de ces titres, sur de longues périodes, a eu un impact considérable sur la trésorerie de l’entreprise.
La situation a conduit les responsables de la société à envisager la liquidation de Sogapresse pour créer une simple branche dédiée à la diffusion de la presse. Celle-ci sera rattachée à la Société des nouvelles activités de presse (Sonapresse), éditeur du journal L’Union. Ce qui devrait permettre de réaliser des économies pour le maintien d’une activité de diffusion de la presse au Gabon. La situation impliquera la délocalisation de la société actuelle ou plutôt sa relocalisation dans les locaux de Sonapresse d’autant plus que les activités de distribution y seront reprises «comme un département différent de L’Union», à l’instar de Publicom.
Une partie du personnel de Sogapresse sera donc repris dans ce cadre, après définition de la forme et du fonctionnement de ce service. Des sources concordantes affirment que tout a été tenté pour recapitaliser l’entreprise mais aucune solution viable n’a été trouvée. «Aujourd’hui la vérité c’est que le modèle papier a atteint ses limites, c’est le règne du smartphone et des réseaux sociaux. Tout le monde va avoir son journal gratuit, son fichier qu’il repasse aux amis et tout son réseau et quand personne n’achète les journaux qu’est-ce qui se passe ? Il n’y a plus les recettes qui permettent de continuer à faire vivre les entreprises», analyse un observateur, certain de ce que «les réseaux sociaux sont en train de tuer la presse».
Baisse du nombre de pages de L’Union et spectre de licenciements
La situation impacte fortement le quotidien d’informations générales édité par Sonapresse, si bien que le spectre des licenciements y plane et inquiète les journalises. Ceux-ci seront donc des victimes collatérales de la situation créée par la mévente, mais surtout le piratage qui met à mal le journal.
A en croire certaines indiscrétions, les responsables songent à une réduction des frais de production du journal qui passera éventuellement par la diminution du nombre de pages. Ce qui aura nécessairement un impact sur le nombre de journalistes affectés à la fabrication du journal. Si des voix assurent tout de même que rien n’est encore acté, des discussions étant en cours entre la direction générale et les délégués du personnel, les tensions de trésorerie sont en tout cas très vives.
Malgré une régie publicitaire qui fonctionnait de façon optimale depuis plusieurs décennies, le marché de la publicité s’est effondré de 2/3 environ, la crise du Covid-19 impactant les entreprises en général. Même situation du côté des petites annonces. «Désormais les familles qui faisaient trois communiqués n’en font plus qu’un», explique un journaliste du quotidien. Idem pour les abonnements où 30 à 40% de souscripteurs ont été perdus. «Les abonnés qui reçoivent désormais les fichiers pirates ne voient plus l’intérêt de renouveler leurs abonnements», explique le même journaliste. Les choses ne sont pas différentes sur le segment de la publicité institutionnelle dont le monopole avait quelque peu échappé à L’Union avec la création du journal Gabon Matin.
Plus de subvention depuis 2017
«Il n’y a malheureusement plus d’aide de l’Etat», jure-t-on à L’Union. La subvention accordée à la presse, en plus d’avoir été élargie à toute la presse y compris en ligne, a considérablement été réduite, passant de 500 millions de francs CFA en 2005 à environ 176 millions de francs CFA aujourd’hui. «C’est devenu insignifiant», soutient-on. «L’Union n’a plus touché de subvention depuis 2017. Donc le quotidien n’a plus bénéficié de l’aide à la presse depuis cette année-là», explique-t-on autour du quotidien national. On y signale tout aussi que Sonapresse n’a pas encore amorti certains investissements. Notamment, ceux liés à l’achat d’une rotative qui aurait coûté environ 3 milliards de francs de CFA.
Une percée en ligne a été envisagée avec L’Union, mais pour l’heure, les retombées ne sont pas à la hauteur des projets qui restent cependant d’actualité. La stratégie sur le net, n’est conçue que pour amener les internautes à acheter le journal physique ou via l’e-kiosque. L’enjeu est donc de trouver une stratégie permettant d’assurer une mutation progressive et conforme aux objectifs d’équilibre financier du journal. Entre espoir en l’aide de l’État et certaines réalités de terrain on ne désespère tout de même pas à L’Union. «Le papier n’est pas mort entièrement. Il y en a qui aiment encore avoir leur journal entre les mains plutôt que le lire dans un ordinateur ou un smartphone. Ce problème n’est pas seulement national, il est international. Mais la seule différence c’est qu’en Europe, ils ont le soutien de l’État que nous nous n’avons pas au Gabon», fait-on observer. «C’est dommage. Mais quelque chose est en cours au niveau du journal L’Union», concluent des sources proches du dossier qui se demandent tout aussi ce que fait la Hac face au piratage de la presse écrite.