Spécialiste du management des politiques publiques et de la stratégie des organisations, Christian Emane Nna jette un regard comparatif, chiffré et argumenté sur la situation du Gabon, avant et après 2009. Il rappelle les « éléments qui fondent et consolident la prospérité et le prestige d’une nation », relève « le manque de vision de ceux qui dirigent le Gabon » en s’appuyant sur ses réalités socioéconomiques. Il plaide enfin pour « une action régulièrement évaluée et essentiellement tournée vers le bien-être des gabonais, le rayonnement et la place du Gabon en Afrique et dans le monde ».
A l’instar de toutes les autres organisations, les Etats sont eux aussi en compétition. Pour se donner une masse critique et préserver leurs intérêts stratégiques, ils tissent des alliances objectives au sein de grands ensembles. La protection et l’innovation sociale, la compétitivité économique, l’influence diplomatique, le rayonnement sportif, la promotion culturelle, la projection militaire, le déploiement humanitaire, le progrès scientifique, l’innovation technologique, la transition écologique et l’attractivité académique sont des éléments qui fondent et consolident la prospérité et le prestige d’une nation. Ils déterminent sa grandeur et sa position géostratégique dans le monde et procèdent implacablement de la gouvernance et du leadership de ses dirigeants.
Le Gabon n’échappe pas à cette règle, mais sa situation, telle que présentée par les pouvoirs publics, est erronée et très éloignée du principe de réalité. Ce déni révèle la défaillance du modèle de gouvernance dans notre pays. En dépit d’un PIB cumulé autour 80 000 milliards de FCFA entre 2010 et 2019, contre près de 44 000 milliards de FCFA entre 2000 et 2009, le Gabon accuse un retard significatif. La triangulation des données nous indique un recul structurel avec une aggravation des inégalités et de l’exclusion sociale ces dix dernières années.
Un endettement toxique au développement et un déclin économique exponentiel
Le Gabon est le 5e producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne, le 2e producteur africain de bois, le 1er producteur mondial de manganèse et il est classé parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure comme la Chine, le Brésil, la Serbie et la Turquie. Son économie est très peu diversifiée et dépendante de l’industrie extractive. Notre pays a enregistré une croissance économique relativement forte au cours de ces dix dernières années. Son PIB en valeur a atteint les 9000 milliards de FCFA en 2011 et en 2014, mais il était essentiellement porté par les exportations de matières premières. Le secteur pétrolier représente 80 % des exportations, 45 % du Produit Intérieur Brut et 60 % des recettes budgétaires. L’économie gabonaise est donc fortement tributaire des fluctuations des cours des matières premières. Sa croissance est très peu inclusive et n’est pas créatrice d’emplois. Le manque d’infrastructures, le coût élevé des facteurs de production, l’absence d’un tissu industriel de transformation, un secteur tertiaire limité et un secteur informel qui tourne autour de 40% du PIB sont les principales faiblesses structurelles qui n’ont pas été corrigées depuis dix ans, en dépit des annonces de réforme.
En matière de finances publiques, la dette qui était de l’ordre de 13% du PIB en 2009, est passée à 56,4% en 2019. Notre pays est désormais classé 4e en Afrique en termes de dette publique par habitant, soit 2,6 millions de FCFA pour chaque gabonais. En comparaison, la Côte d’ivoire et le Sénégal ont un niveau d’endettement par habitant autour de 500 000 FCFA, celui du Cameroun est de 320 000 FCFA et le Burundi est à 150 000 FCFA. Sur le plan mondial, la compétitivité du Gabon a reculé de la 99e place en 2013 à la 119e en 2019. Concernant l’environnement des affaires, notre pays est passé du 155e rang en 2009 au 169e en 2019. Au titre de l’accès aux prêts bancaires, le Gabon occupait la 131e place en 2009 et est rétrogradé à la 135e en 2019. La principale conséquence de cette décrépitude, c’est bien évidemment un chômage endémique au-dessus de 20% en moyenne, avec un taux particulièrement élevé chez les jeunes qui culmine à 35 %. Au regard de ces données, le déclin économique et financier du Gabon est sans équivoque.
La dégradation structurelle de la qualité de vie
Au registre de la qualité de vie, celle des gabonais n’a jamais été en corrélation avec le niveau de richesse de leur pays. L’indice de développement humain du PNUD qui agrège des données en matière de santé, d’éducation et de niveau de revenu par habitant, classait le Gabon au 124e rang mondial en 2006, au 119e en 2007 puis en 2008 et au 103e en 2009. On peut noter qu’entre les années 2006 et 2009, le Gabon avait fait des progrès en améliorant son classement de 21 places en quatre ans. En comparaison, notre pays a occupé le 110e rang en 2017, et le 115e consécutivement en 2018 et 2019. A l’analyse de ces données, on constate que le Gabon a reculé du 103e rang au 115e rang mondial de l’IDH entre 2009 et 2019, soit, un déclassement de 12 places en dix ans. Au classement mondial du bonheur, le Gabon a aussi reculé du 103e rang en 2018 au 104e en 2019, derrière le Benin et le Congo. Plus grave, dans le contexte sanitaire actuel, avec plus de 70% de la population qui vit dans la pauvreté au Gabon, l’enveloppe prévisionnelle face au Covid-19 est d’environ 3% du PIB dont 0,3% à la charge de l’État, alors que la moyenne en Afrique est de 5% contre 20% à l’échelle mondiale.
Une politique de défense et de sécurité impertinente et sans rendement
Sur le plan militaire, selon l’indice 2020 de la puissance militaire publié par l’américan Global Fire Power, on constate qu’en dépit de la prépotence budgétaire des forces de défense et de sécurité, qui représente 10% du budget de l’Etat, le Gabon est classé 130e sur les 138 pays évalués dans le monde. A l’échelle africaine, notre pays vient au 32e rang sur 38 pays, derrière les armées du Mali (17e) du Burkina-Faso (18e) du Niger (20e) de la Mauritanie (28e) de Madagascar (29e) et de Centrafrique (31e). En matière de sécurité, selon le Global Peace Index des pays les plus dangereux au monde, sur 163 pays, le Gabon régresse du 69e rang en 2018 au 68e en 2019. Ces différents classements révèlent l’impertinence et le faible rendement des ressources allouées à la politique sécuritaire au Gabon au détriment des vraies priorités de développement.
Une corruption grandissante, une diplomatie inerte et une administration galvaudée
En matière de corruption, le classement 2009 de l’indice de perception de la corruption plaçait le Gabon au 97e rang mondial. Au niveau continental, notre pays occupait la 14e place et arrivait en tête des pays les moins corrompus en Afrique centrale, 10 places devant le Sao Tomé – et – Principe qui venait au 24e rang en Afrique et au 111e au plan mondial. En 2019, le Gabon occupe le 123e rang mondial, accusant un recul de 26 places par rapport à 2009, soit 59 places derrière le Sao Tomé & Principe, désormais au 64 e rang mondial.
Sur la scène internationale, la diplomatie et les partenariats stratégiques du Gabon ne contribuent pas à sa prospérité et à son rayonnement. En effet, l’action extérieure de notre pays ne répond pas à une planification arrimée à des objectifs de développement. Avec moins de 40 Missions, le réseau diplomatique gabonais est inerte. Son personnel est généralement issu des cohortes de proches et d’alliés politiques, souvent gratifiés en dehors des compétences requises. Son déploiement n’est pas au service de l’attractivité et de la promotion des investissements et son impact sur le développement est relativement faible. Notre diplomatie dont la vocation se limite à la représentation doit évoluer vers une diplomatie d’action.
En ce qui concerne la performance du service public, elle procède idéalement de la cohérence entre les attentes socioéconomiques, les transformations engagées par le pouvoir politique et les moyens mis à la disposition de l’administration pour leur réalisation. Un Etat optimise son rendement par l’efficience de son action et la valorisation de son personnel. Au Gabon, le rôle de l’administration doit être sacralisé, sa grandeur, son honneur et ses missions au service du pays doivent être préservés. Les grands corps de l’Etat doivent être traités à leur juste valeur. Or, la préfectorale est galvaudée et n’intéresse pas les élites administratives. En dépit de leur abnégation, les hauts fonctionnaires du Conseil d’Etat, de la Cour des comptes, de l’Inspection des finances, de l’Education nationale, de la Santé, des Travaux publics, des Mines ou du Tourisme ne sont pas associés à l’élaboration de la stratégie de développement du pays. La placardisation des agents compétents entrave la continuité et la qualité du service public. Les connivences et l’allégeance à des décideurs, sans états de service, priment sur les exigences de performance et favorisent l’impuissance réformatrice de l’Etat.
Le nécessaire changement de paradigme et de gouvernance
Au regard de ses énormes ressources accumulées depuis son indépendance en 1960, de sa superficie et de sa démographie relativement faibles, le déclassement du Gabon est un vrai désastre économique et social. Le manque de vision de ceux qui dirigent le Gabon, leur compréhension subjective des enjeux et leur posture autocentrée sont les causes de l’incapacité de notre pays à faire face aux crises d’aujourd’hui. Cela doit susciter un changement de paradigme et de gouvernance, afin d’anticiper les grises de demain et de planifier dès à présent les réformes structurelles qui nous permettrons d’y faire face. Notre pays doit se préparer à affronter le monde qui vient par une remise en cause systémique et paramétrique de son modèle de développement.
Assurément, le redressement du Gabon exige de l’objectivité dans l’analyse, de l’efficacité et de la redevabilité dans la planification et l’exécution de l’action publique. Le développement de notre pays nécessite une action régulièrement évaluée et essentiellement tournée vers le bien-être des gabonais, le rayonnement et la place du Gabon en Afrique et dans le monde.