Les dirigeants africains disent œuvrer à la respectabilité de l’homme Noir. Mais en faisant peu de cas des droits humains, ils alimentent les préjugés sur leur race.
Des indépendances à 1990, les dirigeants africains croyaient avoir remplacé les colons. À quelques exceptions près, ils se comportaient comme si leurs pays étaient des colonies d’exploitation. Depuis la chute du mur de Berlin, ils ont, vis-à-vis de leurs peuples, le regard du dominant. À la faveur du mouvement «Black Lives Matter», ils se découvrent une nouvelle vocation : défenseur de la dignité de l’homme noir. Le président de la commission de l’Union africaine (UA) s’est ainsi élevé contre la mort de George Floyd. Au nom de 54 pays, l’ambassadeur du Burkina Faso auprès des Nations-unies a exigé un «débat (…) sur les violations actuelles des droits de l’homme d’inspiration raciale, le racisme systémique, la brutalité policière contre les personnes d’ascendance africaine et la violence contre les manifestations pacifiques.»
Ennemis des droits naturels
Ouvert le 17 juin courant au Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations-unies (Onu), cet échange devrait déboucher sur une condamnation des «pratiques raciales discriminatoires et violentes des forces de l’ordre contre les Africains et les personnes d’origine africaine et le racisme endémique structurel du système pénal, aux États-Unis et dans d’autres parties du monde.» Autrement dit, sans redouter un effet boomerang, les dirigeants africains ont demandé un débat sur les droits humains. Or leur propre conception du maintien de l’ordre favorise «la brutalité policière (…) et la violence contre les manifestations pacifiques». Comment peuvent-ils mettre à l’index les défaillances du «système pénal» américain quand, dans leurs pays, la justice est un instrument au service de leurs ambitions ? Comment peuvent-ils dénoncer des «pratiques raciales discriminatoires» quand ils frayent avec un État comme la Mauritanie, régulièrement accusé de s’adonner à la ségrégation raciale ? Ou quand ils érigent, eux-mêmes, la préférence ethnique et la purification idéologique en méthode de cooptation des élites administratives ?
Les droits humains en général ? Quelle crédibilité accorder à une revendication formulée par des ennemis des droits naturels ? Les droits économiques, sociaux et culturels ? Le retard accusé par l’Afrique en dit long sur l’efficacité des choix publics. Faisant peu de cas des droits des populations, les dirigeants africains alimentent les préjugés sur leur race. Certes, lors de sa première conférence tenue au Caire (Égypte) du 17 au 24 juillet 1964, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) s’était dite «profondément préoccupée (…) (par des) manifestations (…) d’oppression raciale dirigées contre les citoyens noirs des États-Unis d’Amérique», demandant aux autorités américaines d’«intensifier leur effort pour assurer la suppression totale de toutes les formes de discrimination fondées sur la race».
Refus de faire face à la réalité
Pour autant, tout au long de ses 39 années d’existence, l’OUA s’est comportée comme un syndicat de dictateurs, une instance de discussions bureaucratiques. Jamais elle n’a défendu les droits et libertés des citoyens, y compris quand les dirigeants devenaient de véritables menaces pour les peuples. Malgré l’adoption de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, le mécanisme de contrôle n’a jamais fonctionné. Au nom du sacro-saint principe de «non-ingérence dans les affaires intérieures des États», les dirigeants ont précipité la déliquescence des d’États, renvoyant de l’Africain l’image d’un grand enfant, incapable de s’adapter aux exigences de son époque. A cet égard, les images de jeunes noyés au large de nos côtes contribuent à entretenir le mépris d’autrui et, pourquoi pas, la stupide idée d’une inégalité entre les races.
Pour n’avoir pas pu su arrimer leurs pays au train de la bonne gouvernance et du développement, pour avoir contraint leurs peuples à l’exode ou à l’exil, les dirigeants africains ont considérablement nui à la respectabilité de l’homme Noir. Après tout, l’Afrique reste encore un continent peuplé essentiellement de Noirs, où l’ensemble des postes de responsabilité sont occupés par des Noirs. Bref, c’est a priori le continent où les Noirs peuvent le mieux s’affirmer et se réaliser. Mais l’Afrique reste aussi le seul continent où les cadres compétents et honnêtes sont laissés au bord de la route pour des raisons ethniques ou politiciennes. Pourtant, les dirigeants africains disent œuvrer à l’émancipation de leurs peuples. Ils prétendent même travailler pour la respectabilité de l’homme Noir. Comme leur requête pour un dialogue sur le racisme, ce discours s’inscrit dans une démarche expiatoire. Il vise à éluder le débat sur leur propre responsabilité. Puisse le mouvement «Black Lives Matter» être le point de départ d’une remise en cause de fond.