Le mouvement de colère, suscité par le meurtre d’un Africain-Américain par un policier blanc, interpelle l’ensemble des leaders du monde noir, particulièrement ceux d’Afrique.
Depuis bientôt une semaine, les manifestations se succèdent dans les principales villes des États-Unis. Scandant «I can’t breathe – je ne peux pas respirer», les manifestants dénoncent le racisme et les violences policières. Ils exigent aussi la justice pour George Floyd, un Africain-Américain de 46 ans étouffé le 25 mai dernier à Minneapolis par un policier blanc au passé chargé. Loin d’être l’affaire des seuls dirigeants américains, ce mouvement de colère interpelle l’ensemble des leaders du monde noir, particulièrement ceux d’Afrique. De l’autre côté de l’Atlantique, la mal-gouvernance de l’Afrique crache son venin. Autrement dit, la capacité des dirigeants africains à susciter l’admiration des autres, à faire respecter leur race, se trouve questionnée. Imagine-t-on un policier traiter ainsi un homme de race jaune quand on sait quelles places le Japon, la Chine et même la Corée du sud occupent sur la scène internationale ? Imagine-t-on un Juif subir un tel traitement quand on connait l’omniprésence d’Israël dans le débat politique américain ? Même si les Arabes peuvent encore être la cible de propos racistes, le poids de l’Arabie saoudite suffit à réfréner certaines ardeurs.
À la recherche de leurs racines
A tort ou à raison, les pays africains contribuent à façonner le regard des autres sur l’homme noir. Dès la fin du XIXè siècle, la cause africaine a été étroitement associée à celle des Noirs de par le monde. Mêlant revendication des indépendances et lutte contre la ségrégation raciale, le panafricanisme a contribué à l’établissement de ce lien. Fortement dominée par la figure du ghanéen Kwame Nkrumah, le congrès de Manchester de 1945 bénéficia du soutien du trinidadien George Padmore et du parrainage de l’américain William Edward Burghardt Du Bois, fondateur de la National association for the advancement of colored people (NAACP – Association nationale pour la promotion des gens de couleur).
Dans leur quête d’émancipation, les Noirs du monde entier ont fait cause commune. Malgré les indépendances, ce lien a été entretenu. Sans doute par souci de faire écho à l’une des revendications des pères du nationalisme noir américain, certains pays africains ont offert d’accueillir ou accorder la citoyenneté aux Africains-Américains. Peut-être par mimétisme du mouvement sioniste, de nombreux Africains-Américains sont partis à la recherche de leurs racines. Grâce à des tests ADN, ils ont fièrement proclamé venir de tel ou tel contrée. Ces dernières années, ce mouvement a viré à l’effet de mode. On l’a vu au Gabon avec Samuel Leroy Jackson. Avec Cardi B au Nigeria ou Idriss Elba en Sierra Leone.
Effets pervers du modèle américain
Pourtant, pour succéder à Barack Obama, les États-Unis ont élu Donald Trump, un milliardaire controversé, maniant le rejet des élites, surfant sur la peur de l’étranger et liant la criminalité à l’existence de minorités, notamment celles issues de l’immigration. Il faut être d’une grande naïveté pour ne pas comprendre ce choix comme la résultante de la persistance des fractures ethniques au sein de la société américaine. Il faut faire preuve d’un simplisme réducteur pour ne pas y voir une traduction des effets pervers du modèle américain. Comme toutes les sociétés construites sur le multiculturalisme, les États-Unis doivent conjurer trois risques majeurs : l’instrumentalisation politicienne des minorités ethniques, la pollution de la politique intérieure par des considérations de politique extérieure et, la tendance à réduire la vie à un duel à mort entre le bien et le mal, les bons et les méchants.
Vu sous cet angle, l’image et le rayonnement des pays ou continents d’origine influencent lourdement les rapports interraciaux. Plus la gouvernance d’un État intègre les valeurs de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie, plus ses ressortissants peuvent être traités avec respect. Plus un État renvoie une image de prospérité, moins ses citoyens courent le risque d’être maltraités. Pour le malheur des Africains-Américains, l’Afrique ne symbolise rien de tout cela. Bien au contraire, elle colporte une image de pauvreté chronique et de négation des droits fondamentaux. Au risque de subir les pires avanies, les Africains-Américains sont assimilés à cette Afrique miséreuse, refusant obstinément de s’arrimer au train de la démocratie. A moins de se satisfaire du mépris affiché par les autres, les dirigeants d’Afrique doivent y réfléchir.