Le Gabon glisse vers une logique du tout-sécuritaire. Or, en diffusant une information crédible, vérifiée et vérifiable, en faisant intervenir des spécialistes d’horizons divers, le gouvernement peut susciter l’adhésion populaire.
Au risque de porter atteinte à la liberté d’aller et venir, faut-il restreindre la liberté de circuler ? Quitte à nuire à la participation du citoyen à la vie publique, faut-il limiter la liberté de réunion ? Pour le gouvernement, ces questions ne se discutent pas. Après tout, même des démocraties irréprochables comme la Norvège, l’Australie ou Maurice ont eu recours au confinement. Réputés pour la qualité de leur gouvernance, des pays comme le Costa Rica, le Botswana ou le Cap-Vert ont instauré des états d’exception. Dans environ 80 pays, près de 4 milliards de personnes ont été confinées ou invitées à rester chez elles. À quelques exceptions près, toutes les démocraties ont restreint l’exercice des libertés fondamentales. Pourtant, Human Rights Watch (HRW) a invité les États à «n’envisager des restrictions (…) que lorsque cela est scientifiquement justifié et nécessaire et lorsque des mécanismes de soutien aux personnes touchées (…) peuvent être garantis.» De quels outils disposent les citoyens pour vérifier les allégations des gouvernements ?
Tirer un bénéfice politicien de la situation
Disant ne pas vouloir «céder à la peur», Amnesty international a, d’ores et déjà, prévenu : «La lutte pour les droits humains ne s’arrête jamais». Accusant, à mots à peine couverts, certains États d’avoir pris mesures sans évaluer «leurs éventuelles conséquences sur la jouissance de l’ensemble des droits humains», elle les a rappelés à leur «obligation de garantir les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux.» Pour elle, les droits humains ne doivent pas devenir «un luxe qu’on ne peut se permettre qu’une fois la menace pour la santé publique réduite.» Dans le contexte gabonais, la logique du tout-sécuritaire semble lui donner raison. Sauf si la lutte contre la contagion se réduit à la régulation des relations sociales, ce glissement est inopportun.
Chacun en convient : pour les États, le moment est «particulièrement difficile.» Urgence de santé publique de portée internationale, la covid-19 représente une menace majeure. Dans tous les secteurs de la vie, elle peut avoir d’incalculables répercussions. L’isolement des personnes infectées, la mise en quarantaine des sujets contacts, le confinement des populations visent à prévenir ces risques. Mais, la lutte contre ce virus ne doit pas se faire au détriment des libertés fondamentales : comme le souligne Amnesty international, «le droit à la santé est inscrit dans plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, et la majeure partie des pays dans le monde ont ratifié au moins l’un de ces textes.» En bridant les libertés individuelles sans répondre aux préoccupations relatives à la protection du personnel de santé ou à la définition d’un protocole de soins, certains gouvernements laissent le sentiment de chercher à tirer un bénéfice politicien de la situation.
Le Gabonais lambda ? Ni anarchiste, ni enfant encore moins demeuré
Pourtant, la vie et la dignité humaines sont protégées par des droits. Quitte à recourir à la responsabilité individuelle, il vaut mieux s’astreindre au respect des libertés. Bien entendu, la liberté ne saurait se confondre à la licence. Jouir de sa liberté, c’est agir sans gêner autrui. Si les citoyens sont régulièrement informés, s’ils ont foi dans l’information officielle, la discipline collective s’imposera d’elle-même. Pour les États, particulièrement l’État gabonais, le vrai défi réside dans la transparence et l’établissement d’un lien de confiance. Autrement dit, en diffusant une information crédible, vérifiée et vérifiable, en faisant intervenir des spécialistes d’horizons divers, le gouvernement peut susciter l’adhésion populaire. En ces temps d’angoisse généralisée, la coercition et la contrainte sont forcément du plus mauvais effet.
Le respect des droits humains comme outil de traitement de la crise sanitaire ? Le suggérer ne revient ni à promouvoir l’incivisme ni à chercher à installer la chienlit. Le Gabonais lambda n’est ni un anarchiste ni un enfant, encore moins un demeuré. Face à la fièvre hémorragique à virus Ebola, il s’est montré respectueux des consignes, même dans les zones reculées. Face au sida, il a su revoir son comportement, y compris ses pratiques sexuelles. En voyant des images de malades, en écoutant leurs témoignages, il prendra la mesure du danger. En écoutant des scientifiques nationaux parler avec des données locales, il cernera mieux les risques. Au lieu d’abreuver les populations d’images tournées ailleurs ou de brandir le bâton, il faut peut-être réorienter la communication. Or, le droit à l’information est aussi un droit humain. Ne pas le comprendre, c’est créer les conditions de la défiance.