Sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire, de nombreuses publications vantent l’efficacité des feuilles de margousier, arbre également connu sous le nom de neem, pour prévenir et soigner le nouveau coronavirus. Mais il n’existe à l'heure actuelle aucune preuve scientifique d’un quelconque effet du neem contre le coronavirus. Consommée à forte dose, ses feuilles peuvent même provoquer des insuffisances rénales.
L’annonce des premiers cas de contamination au nouveau coronavirus en Côte d’Ivoire début mars a donné lieu à d’étranges scènes : un peu partout dans le pays, la population s’est ruée sur les margousiers, plus connu sous le nom de neem, pour en recueillir les feuilles.
Les feuilles de cet arbre, très répandu en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud, sont réputées pour avoir des vertus thérapeutiques notamment contre le paludisme. Depuis plusieurs semaines, on leur prête aussi une efficacité contre le coronavirus.
Les controverses sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine -molécule dérivée de la quinine utilisée dans les médicaments antipaludiques- pour lutter contre le coronavirus ont connu un grand retentissement en Afrique. En effet, 90% des cas de paludisme se déclarent dans les zones tropicales du continent.
Dans la rue comme sur les réseaux sociaux, l’amalgame a été rapidement fait entre paludisme et Covid-19, la maladie causée par le coronavirus.
"Il y a un dicton ivoirien qui dit: 'Tout ce qui est amer soigne le paludisme'. Les gens ont vite fait le raccourci et se ruent sur les plantes. J’ai vu des jeunes arracher des feuilles de neem des arbres pour ramener chez eux. Il faut être très prudent", met en garde Sébastien Dano Djédjé, président de la Société ivoirienne de Toxicologie (Sitox).
Le covid-19 n’est pas le paludisme
Les médecins le rappellent régulièrement: paludisme et Covid-19 sont deux maladies distinctes.
"Le paludisme est causé par un parasite. Le Covid-19 vient d'un virus. Si la quinine est actuellement d’actualité (en tant que traitement, ndlr) c’est parce que l’action de l’hydroxychloroquine, un dérivé de la chloroquine, fait pénétrer le zinc dans la cellule qui contient le virus et diminue ses capacités infectieuses", résumait le docteur Henri Chenal, directeur du Centre intégré de recherches biocliniques d’Abidjan (CIRBA), dans une vérification de l’AFP le 17 avril.
L’utilisation de la chloroquine pour lutter contre le coronavirus est toujours sujette à controverse dans la communauté scientifique, tant sur son efficacité que sur son inocuité.
Si des publications portant sur de petits échantillons de malades menées en Chine et en France par le Pr Raoult ont fait état d’une apparente efficacité de l’hydroxychloroquine sur des patients atteints du Covid-19, d’autres n’ont au contraire pas permis d’observer d’efficacité de la molécule.
L’Agence européenne des médicaments a en outre alerté sur les effets secondaires graves parfois causés par les traitements à base de chloroquine.
L’hydroxychloroquine fait partie des médicaments qui font l’objet de diverses expérimentations et essais cliniques dans le monde. Les résultats de ces études ne sont pas encore connus.
De premiers résultats du programme européen Discovery, essai clinique coordonné par l'Inserm -l'organisme public français de recherche médicale- portant sur quatre traitements dont l'hydroxychloroquine, étaient attendus le 6 mai. Ils ne seront finalement pas livrés avant plusieurs semaines, en raison notamment du trop faible nombre de patients enrôlés pour l'instant (740, contre 3.200 initialement envisagés).
Au Sénégal, les autorités ont, elles, annoncé le 2 mai vouloir poursuivre les prescriptions de l'hydroxychloroquine aux malades du Covid-19 après une analyse "préliminaire" montrant une réduction de la durée d'hospitalisation.
Sur 181 patients, la durée médiane d'hospitalisation était de 13 jours pour les malades n'ayant reçu aucun traitement, 11 pour ceux ayant reçu de l'hydroxychloroquine seule, 9 pour ceux ayant reçu de l'hydroxychloroquine associée à l'azithromycine (antibiotique), et même 8 pour ceux ayant consulté tôt et démarré le traitement dans les 24 heures, ont détaillé les autorités sénégalaises.
La chloroquine n’existe pas à l’état naturel
Sur les réseaux sociaux, des publications, comme celle ci-dessous qui a été partagée plus de 5.800 fois sur Facebook, assurent toutefois que les feuilles de neem contiennent une dose de chloroquine "mille fois supérieure aux comprimés qu’on trouve en pharmacie".
Cette affirmation est scientifiquement fausse: la chloroquine est un dérivé de synthèse de la quinine, elle n’existe donc pas à l’état naturel.
Et pour Koblan Avoni, un des tradipraticiens (personne qui dispense cette médecine traditionnelle) les plus connus de Côte d’Ivoire, "il n’y a à ce jour aucune preuve scientifique que les feuilles de neem contiennent de la chloroquine ou de la quinine".
"Pour soigner le paludisme, j’utilise une combinaison de plusieurs plantes. C’est l’action de toutes ces plantes réunies qui produit un effet curatif", explique M. Avoni: "Ces feuilles (de neem) sont efficaces pour soigner les problèmes de foie. Comme le paludisme se développe dans le foie, elles permettent d’agir à ce niveau mais c’est tout ce qu’on peut affirmer".
Une surconsommation "peut avoir des effets néfastes sur la santé du foie et provoquer des insuffisances rénales", avertit le tradipraticien.
L’OMS veut des "essais cliniques rigoureux"
Si elle assure "soutenir la médecine traditionnelle" et ne pas être opposée à des traitements qui en sont issus, l’OMS prône la plus grande prudence envers les remèdes naturels.
"Même lorsque des traitements sont issus de la pratique traditionnelle et de la nature, il est primordial d’établir leur efficacité et leur innocuité grâce à des essais cliniques rigoureux", a rappelé l’OMS Afrique le 4 mai dans un communiqué.
"Au moment où des efforts sont faits pour trouver un traitement au COVID-19, la prudence doit rester de mise pour ne pas verser dans la désinformation, particulièrement sur les médias sociaux, au sujet de l’efficacité de certains remèdes", insiste l’institution.
"La pharmacopée traditionnelle pourrait fournir des remèdes anti-infectieux mais des enquêtes sérieuses et des évaluations rigoureuses doivent être menées pour valider les allégations", abonde Marc Litaudon, ingénieur de recherche à l’institut de chimie des substances naturelles (ICSN) basé à Gif-sur-Yvette, en région parisienne, et rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
"S’il est connu que des préparations traditionnelles à base de neem, l’azadirachta indica, possèdent des propriétés anti-microbiennes, à ma connaissance aucune étude n’a été conduite sur les propriétés anti-coronavirus pour cette plante", souligne-t-il.
A ce jour, il n'existe aucun remède, ni vaccin homologué contre le nouveau coronavirus, qui a fait près de 264.000 morts et plus de 3,76 millions de cas d'infection officiellement diagnostiqués dans 195 pays et territoires, selon un comptage de l’AFP réalisé le 7 mai à partir de données officielles.