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Ntoutoume Ayi: «Le secteur de « l’économie populaire » doit profiter du soutien massif des pouvoirs publics»
Publié le lundi 27 avril 2020  |  Gabon Media Time
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© Autre presse par DR
Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, commissaire national en charge du Budget au sein de l’Union nationale (UN)
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Avec un taux d’endettement qui selon le directeur général de la dette Emmanuel Berre se situe à 57 % du PIB, frôlant le seuil requis par la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), la situation économique du Gabon semble peu reluisante malgré le discours rassurant du gouvernement qui a misé sur la diversification de l’économie. Une situation qui s’est dégradée avec la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19 et qui selon l’inspecteur des finances, par ailleurs commissaire national en charge du Budget à l’Union nationale Jean Gaspard Ntoutoum Ayi devrait amener le gouvernement à une gestion plus orthodoxe des finances publiques et à ajuster les mesures d’accompagnement notamment à l’endroit des populations. Ci-dessous l’intégralité de l’interview qu’il a accordée à Gabon Media Time pour évoquer cette actualité du moment.

Gabon Media Time : Quel regard portez-vous sur la situation économique actuelle et sur les perspectives à moyen terme du Gabon?

Jean Gaspard Ntoutoum Ayi : La situation économique actuelle du Gabon a ceci de particulier que le pays, qui ne parvenait déjà pas à se relever du retournement de conjoncture de 2014, doit faire face à deux chocs économiques résultant de la pandémie du Covid-19.

La pandémie du Covid-19 qui a entrainé un effondrement de l’économie mondiale et qui accentue l’effondrement des cours du baril de pétrole, par une chute de la demande, pénalise inévitablement l’économie gabonaise, fortement dépendante de ce secteur. Les autres secteurs d’exportation tel que le Bois et les Mines pâtiront également du ralentissement de l’économie mondiale. Le secteur du tourisme, notamment le tourisme d’affaire et l’hôtellerie, n’y échappera pas.

À ce choc externe qui suffisait à perturber fortement l’économie nationale sont venues s’ajouter les mesures gouvernementales prises pour contenir la propagation du Covid-19 au Gabon. Il s’agit notamment de la fermeture des établissements d’enseignement, de la fermeture des établissements et lieux commerciaux de loisirs, l’interdiction de circuler de 19 heures 30 à 06 heures et le confinement du Grand Libreville. Ce choc interne affecte directement une large part de la population, notamment la plus fragile.Il est difficile de porter un regard optimiste sur les perspectives économiques du Gabon à moyen terme. Contrairement aux apparences, le pire est à venir.

Avec un baril de Brent à 20 dollars et toujours orienté à la baisse, comment le Gabon peut-il se sortir de cette situation ?

Le Gabon doit, dans la situation actuelle, traiter vigoureusement les questions sanitaires et sociales. C’est l’Urgence. Il importe dans le même temps de préparer « le Jour d’après ». C’est essentiel. Il conviendrait de commencer par assurer la gestion de la situation d’urgence dans laquelle se trouve le pays. Certes, la proclamation de l’état d’urgence s’imposait pour permettre au Gouvernement de prendre les mesures les mieux adaptées à la situation. Toutefois, les plus fortes réserves peuvent être exprimées concernant la pertinence de la fermeture des établissements scolaires sur l’ensemble du territoire, la fermeture des petits commerces, l’instauration du couvre-feu et surtout le confinement du Grand Libreville. Concernant ce dernier point, il sera de sage décision de mettre un terme à ce confinement qui devient inopérant, tant les exceptions sont devenues la norme.

L’urgence, c’est d’abord de doter le pays d’une capacité réelle de gestion de la crise sanitaire. Cette capacité inclut la nécessité de dégager prioritairement des ressources financières pour l’acquisition en nombre des équipements sanitaires nécessaires afin de couvrir l’ensemble des besoins exprimés par les professionnels.

L’urgence, c’est ensuite d’adopter une gestion plus pertinente et plus respectueuse de la dignité humaine pour assister les populations les plus fragiles tout au long de cette crise. Il convient de renoncer définitivement à la distribution d’aliments et de bons d’achat qui occasionnent le non-respect des règles de distanciation prônées pour combattre le Covid-19. À l’image de nombreux pays, notamment la Côte d’Ivoire, la France et les USA, une aide financière directe aux ménages les plus fragiles est la meilleure réponse sociale à la situation actuelle. La base de données des Gabonais économiquement faibles dont dispose la Caisse Nationale d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale (CNAMGS) devrait à cet effet être mise à contribution.

L’urgence, c’est aussi de s’interroger sur la stratégie de lutte poursuivie par le Gouvernement et de la revisiter, avant de mobiliser massivement des ressources financières pour contenir les conséquences économiques et sociales des mesures de fermeture des frontières, des établissements d’enseignement, des commerces et des entreprises.

Dans le même temps, toutes les intelligences doivent être mises à contribution pour préparer ce « Jour d’après ». Le préalable à toute entreprise de reconstruction est la confiance. Confiance en l’avenir, confiance dans les gouvernants, confiance dans les politiques économiques et sociales qui sont conduites. Il est clair que le pouvoir actuel, pour les nombreuses raisons que nul n’ignore, est définitivement disqualifié pour cela. Seul un changement radical de la gouvernance de notre pays pourra créer le cadre et les conditions pour que notre pays se remette du désastre économique et social qui arrive. Ce redressement imposera des sacrifices, de la détermination et de l’audace. Il devra mobiliser l’ensemble du corps social sans exclusive.

Quelle lecture économique faites-vous de la gestion actuelle de la crise sanitaire liée au coronavirus au Gabon ?

La gestion actuelle de la crise sanitaire est révélatrice de la gouvernance politique, économique et sociale du Gabon. Elle a un effet de loupe sur ce que notre pays est devenu. Nous devons à la vérité de dire que si notre pays était dirigé par des responsables ayant une vision et une éthique, des responsables attachés à faire triompher le Gabon pour le bien-être de chaque Gabonaise et de chaque Gabonais, notre pays viendrait à bout de cette crise comme le feront toutes les démocraties, y compris celles qui sont bien plus touchées encore. Ce n’est hélas malheureusement pas le cas.

Les mesures Gouvernementales ont fait perdre du pouvoir d’achat aux ménages et mis à l’arrêt l’essentiel de l’activité du secteur marchand, particulièrement le secteur de l’économie populaire pour reprendre cette expression chère à Michel Rocard, qui selon le FMI représente entre 40 et 50% du PIB au Gabon. La distribution de kits alimentaires et de bons d’achats, en plus d’être dangereuse au plan sanitaire et humainement humiliante, participe à accentuer l’effondrement de la demande au sein de l’économie. Mais il n’y a pas de famine au Gabon, donc de pénurie dans les magasins. Aussi, si le Gouvernement pour venir en aide aux ménages qui allaient perdre du pouvoir d’achat du fait des mesures prises pour contenir la menace d’épidémie, avait fait le choix de procéder à un transfert direct de ressources financières vers les ménages les plus nécessiteux, l’effondrement de la demande des ménages aurait été mieux contenue.

Le secteur formel dispose d’outils institutionnels permettant de le soutenir dans une conjoncture difficile. Les solutions existent, il reste au Gouvernement de se donner les moyens de les mettre en œuvre. En revanche, la mise à l’arrêt du secteur de l’économie populaire constitue un défi aux conséquences sociales désastreuses. Le Gouvernement qui a pris cette décision éprouve les plus grandes difficultés à accompagner les acteurs de ce secteur. Il gagnerait à se rapprocher des collectivités locales qui ont, à travers le prélèvement des taxes locales, une assez bonne maîtrise des acteurs de ce secteur. Le secteur l’économie populaire est acteur essentiel de la lutte contre la grande pauvreté dans notre pays. Il conviendrait de lui faire profiter du soutien massif des pouvoirs publics.

Dans un pays comme le Gabon, où plus de 60% de la population vit d’emplois non-salariés, quelle réponse économique devrait-on apporter à cette tranche de la population qui du jour au lendemain ne peut plus subvenir aux besoins de leur famille ?

C’est en effet le défi le plus important de cette crise et qui nécessite une réponse courageuse. L’État central connait très mal le secteur de l’économie populaire. Il devrait donc s’appuyer sur les Mairies et les organismes de micro-crédit qui sont les interlocuteurs avec lesquels ils traitent habituellement dans le cadre de l’exercice de leurs activités.

Dans l’urgence, ces acteurs du secteur de l’économie populaire vont avoir besoin de revenus de subsistance. Au sortir de la crise, ils auront besoin de fonds de roulement pour relancer leurs activités. Une enveloppe financière conséquente devrait être mobilisée à fonds perdu pour éviter le désastre social qui surviendrait si ce secteur devait être abandonné et un moratoire sur la fiscalité locale doit être décidé sur l’ensemble du pays.Il est impératif de considérer comme une priorité nationale la prise en charge de ces femmes et ces hommes qui se lèvent chaque jour pour aller gagner leur vie et nourrir leurs familles.

Étions-nous prêts pour le confinement total ?

Face à une crise sanitaire, les gouvernants doivent trouver un équilibre entre les décisions à prendre pour faire face à la crise et les conséquences. Plus que savoir si l’on était prêt ou pas pour le confinement total, on peut raisonnablement s’interroger sur l’opportunité et même la faisabilité du confinement du Grand Libreville au regard de l’ampleur de la propagation du Covid-19 dans notre pays. Avant le terme de la première période de 15 jours de confinement, le spectacle navrant des mouvements de foule prenant d’assaut les camions de distribution des Kits alimentaires ou les supermarchés (par les détenteurs de bons d’achats) oblige à reconnaitre les limites de ce confinement.

Un dépistage massif des populations à risque ajouté à une campagne efficace de sensibilisation et de promotion des mesures barrières ( lavage des mains, distribution de masques à toute la population…), constitueraient une meilleure stratégie de lutte.

Selon la note de conjoncture économique, le chiffre d’affaires du transport interurbain annuel n’excède pas les 600 millions de FCFA. Comment analysez-vous le fait que pour deux semaines de confinement, le gouvernement puisse prévoir 6 milliards FCFA destiné à prendre en charge la gratuité des transports pendant cette période ?

Il est difficile, voire impossible, de changer la nature de ce régime et celle des femmes et des hommes qui sont à son service. La gravité de la crise sanitaire et ses conséquence économiques et sociales semblent représenter une aubaine pour certains. Cela est regrettable. Et ce qui est encore plus regrettable, c’est le silence du parlement. En effet, les parlementaires auraient dû exiger d’entendre le Premier ministre sur toutes ces questions lors de l’examen de la loi portant prorogation de l’état d’urgence. Hélas ! C’est le lieu d’inviter la Cour des Comptes à se pencher, le moment venu, sur l’ensemble des opérations financières relatives à la gestion de cette crise sanitaire.

Selon plusieurs agences de notation, dont l’agence Fitch, la crise actuelle du coronavirus aura un impact considérable sur la croissance des pays voisins comme le Congo, la Guinée-Équatoriale, des pays qui entretiennent une relation commerciale très pointue avec la Chine. Quels commentaires faites-vous de la dégradation de la note souveraine du Gabon dans le contexte de la crise de la Covid-19 ?

La note souveraine d’un pays détermine sa capacité à faire face à ses échéances financières. En termes plus simples, sa capacité à rembourser sa dette. Il ne fait aucun doute que les conséquences budgétaires de la crise sanitaire sont une augmentation des charges de l’État et un effondrement de ses ressources. Il est donc clair que se pose la question de la capacité du Gabon à honorer le service de la dette qui s’élève à 1.348 milliards de Fcfa pour l’année 2020. C’est ce doute raisonnable qui justifie principalement l’abaissement de la note souveraine du Gabon.

La gravité de la crise actuelle doit-elle pousser les pays africains dont le Gabon à revoir le partenariat économique qu’il entretient avec la Chine ?

Il est vrai que cette crise sanitaire qui a provoqué une crise économique mondiale est partie de Wuhan, dans la province du Hubei en Chine. Mais la Chine est dans les faits la première puissance économique d’un monde plus ouvert que jamais aux échanges. Et c’est pour cette raison que les conséquences de la crise sanitaire ont affecté l’économie mondiale. Les pays africains, donc le Gabon, gagneraient à accroitre le volume de leurs échanges avec la Chine tout en renforçant les partenariats traditionnels. Des échanges commerciaux avec la Chine certes, mais aussi des échanges technologiques et scientifiques. Les pays africains devraient, en étant exigeants, saisir l’opportunité que leur offrent leurs bonnes relations avec la Chine pour apprendre de ce pays.

Quel pourrait être l’impact de cette crise sur la future loi de finance rectificative ?

Si pour une fois le Gouvernement pouvait se présenter devant le Parlement avec un budget sincère et crédible, les Gabonais apprécieraient. La situation financière du pays n’est pas facile, nul ne le conteste. Ce qui serait inacceptable, ce serait d’assister, comme c’est le cas depuis dix ans, à une falsification de la réalité et de voir adopter un budget qui ne correspond en rien à la réalité. Face à cette crise sans précédent, il est impératif que le Gouvernement se hisse au niveau des enjeux en présentant un projet de budget qui tienne compte de l’urgence sanitaire et de la détresse économique et sociale qui en a résulté. La loi de finances rectificative qui s’impose ne pourra en rien ressembler au budget initial.

Un budget audacieux serait un budget qui reporterait à meilleure fortune le service de la dette extérieure et de la dette aux banques. Un budget courageux supprimerait les investissements et les inutiles budgets des institutions constitutionnelles. Un budget responsable consacrerait l’essentiel des ressources disponibles à la prise en charge de la crise sanitaire et surtout de ses conséquences économiques et sociales. Espérons.

Mais plus que la sincérité et la crédibilité du budget, le défi pour le Gabon est de mettre un terme aux opérations financières extrabudgétaires et de s’assurer de la saine gestion des deniers publics dans le strict respect de l’autorisation parlementaire.

Propos recueillis par Ladji Nzé Diakité
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