Dans cet entretien avec Gabonreview, le Dr Ayola Akim Adegnika, co-directeur du Centre de recherches médicales de Lambaréné et médecin-chercheur, explique le protocole idoine pour tout essai clinique au Gabon et même dans le monde, se désolant des propos de ses collègues français, sur la chaîne LCI, au sujet de l’expérimentation d’un vaccin en Afrique.
Connu pour ses expérimentations contre le paludisme et pratiquant des essais cliniques sur les individus, le Centre de recherches médicales de Lambaréné (CERMEL) est, depuis un mois, devenu un centre de dépistage du COVID-19, à l’image du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF). Si l’occasion se présente, un jour, de faire des études sur le coronavirus au Gabon, le centre de Lambaréné serait «intéressé» de contribuer à l’effort mondial, indique Ayola Akim Adegnika, co-directeur du Cermel. Début avril, deux chercheurs français, en direct sur LCI, proposaient de tester des vaccins BCG censés immuniser contre le COVID-19 «en Afrique», laissant sous-entendre un manque de respect des normes sanitaires sur le continent. Les Africains ne sont pas des «cobayes», s’indignent encore de nombreux spectateurs et internautes. Le Dr Adegnika tient à rectifier le tir, assurant que les normes éthiques sont «internationales» et que même l’Afrique gagnerait à faire plus d’études cliniques de terrain.
Gabonreview : Comment s’élabore un essai clinique sur un individu au Cermel ?
Dr Ayola Akim Adegnika : Au Cermel, nos essais cliniques concernent des vaccins contre les maladies infectieuses mais surtout des traitements contre le paludisme. Pour l’instant, le centre n’est pas en train de faire des études sur le Coronavirus, mais nous sommes tous intéressés à contribuer à l’effort scientifiques en cours.
Les essais cliniques impliquent plusieurs structures de régulation et d’encadrement. Tout d’abord, la communauté scientifique (l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les universités, les sponsors, etc.) doit donner son avis. Et, par exemple, on ne va pas accepter de faire des essais cliniques sur une maladie qui n’est pas endémique. Puis intervient le comité d’éthique national pour la recherche. Au Gabon, ce comité a été mis en place par le gouvernement et les membres sont nommés en Conseil des ministres. Il est rattaché à la Primature et au ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche scientifique. Son rôle consiste principalement à représenter les participants aux essais cliniques, en considérant leurs intérêts, et voir si leurs droits ne sont pas opprimés. Il analyse aussi les aspects culturels, scientifiques, et les avantages pour le pays.
Pour tout essai clinique, il faut aussi l’autorisation du ministère de la Santé, via son agence de régulation. Ces derniers ont la possibilité de consulter l’OMS ou le Forum africain pour la régulation des vaccins.
Le patient qui va participer à un essai clinique est toujours volontaire. Il va signer un document où est détaillé le processus de l’étude. S’il ne sait pas lire, une personne est chargée de lire le document à sa place pour qu’il accepte ou non. On répond à toutes ses questions. On lui donne le temps de rentrer à la maison, pour discuter avec parents ou amis, avant de donner son consentement. Enfin, il peut se retirer quand il veut de l’étude, sans problème. Sur le terrain, on doit aussi informer toute la communauté dans laquelle l’étude est pratiquée. Donc même celui ou celle qui ne fait pas l’étude doit être informé(e).
Que se passe-t-il si un patient soumis à une étude présente des effets secondaires ?
Si un malade a des effets secondaires, il est pris en charge. C’est l’étude qui paiera les frais médicaux. Il faut aussi rapporter les effets constatés à la communauté scientifique et au comité éthique, via notre comité de suivi qui va suivre l’évolution de l’essai clinique. Les effets secondaires doivent être connus pour savoir si oui ou non le traitement peut être prescrit et quels sont les risques.
Que pensez-vous de la polémique créée suite à l’intervention de deux chercheurs français début avril sur la chaîne LCI, qui sous-entendaient que les normes sanitaires sont moindres en Afrique ?
Ce type de propos, dont je ne voudrais pas qualifier la nature, dans la bouche d’un spécialiste français est choquant et même dangereux. Il est très contre-productif pour tous les chercheurs africains, car il entretient le scepticisme envers la médecine occidental, alors même que l’Afrique a besoin que des vaccins soient testés sur son sol. En effet, de nombreux vaccins qui marchent bien en Europe n’ont pas la même réaction pas chez nous car notre système immunitaire est différent. Nous n’avons pas le même régime alimentaire, ni la même épidémiologie, ici en Afrique. Nous avons des maladies comme le paludisme ou encore les vers, auxquels nous sommes régulièrement exposés. Les vaccins peuvent ainsi réagir différemment chez nous par rapport à l’Europe.
Il y a eu quelques scandales avérés liés à des essais cliniques sur le Continent. (Le Nigeria a poursuivi la firme pharmaceutique Pfizer suite à des essais cliniques controversés sur la méningite dans les années 1990. De même, dans les tests du Ténofovir, un traitement anti-sida, de lourdes entraves à l’éthique avaient été constatées). N’est-il pas normal que les Africains soient sceptiques ?
Oui, mais nous – la communauté scientifique en Afrique – faisons notre possible pour éviter des dérives en matière d’études cliniques sur le continent. Les normes éthiques, internationales, sont les mêmes pour tous, où que l’on pratique les essais cliniques. Elles ne cessent d’être renforcées chaque année. Par exemple, aucune publication ni validation d’étude ne se fera sans un avis écrit d’un comité indépendant.
Pour éviter des scandales sanitaires, les autorités restent donc vigilantes. Si le gouvernement apprend qu’un essai est initié, il demande les documents : protocole, approbations du comité d’éthique et autorisation d’utilisation du produit dans le pays.