Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment
Accueil
News
Société
Article
Société

La grande interview : Comment le Gabon peut surmonter la crise du Covid-19 et préparer la relance ? Les réponses de Régis Immongault
Publié le vendredi 17 avril 2020  |  La Libreville
Le
© Autre presse par DR
Le ministre de l’Économie, Régis Immongault
Comment


Il a été ministre sans discontinuer une décennie durant. Mais il est aussi l’un des meilleurs économistes au Gabon. Alors que le monde est frappé par une crise sanitaire qui s’est aussitôt muée en une crise économique sans précédent, Régis Immongault Tatangani a accepté de se plier à La grande interview de La Libreville. Comment le Gabon peut-il amortir les effets de la crise ? Comment la surmonter ? Et comment relancer la machine une fois celle-ci passée ? Voici ses réponses, précises et éclairantes.

Propos recueillis depuis Libreville par Florent Mbadinga

La Libreville : Quelles sont les conséquences prévisibles de la crise du Covid-19 sur l’économie gabonaise en 2020 sur un plan à la fois macro et micro ?

Régis Immongault : Le Gabon comme tous les autres pays subit pleinement les effets du Covid-19 sur son économie. C’est à la fois un choc brutal sur l’offre et sur la demande.

Un choc sur l’offre avec la baisse de nos exportations des ressources naturelles du fait de la
détérioration des termes de l’échange des matières premières, notamment le pétrole et la baisse de la production manufacturière.

La hausse des prix expliquée par la spéculation et la rareté de certains produits.

Un choc sur la demande aussi du fait de la baisse des investissements et de la consommation consécutive à la baisse de l’activité économique, la prudence des investisseurs, la baisse des revenus du gouvernement qui est un moteur de l’économie.

Vous comprenez donc que cette simultanéité des chocs d’offre et de demande rend la situation dangereuse.

Sur le plan macro-économique, il est clair nous allons assister en 2020 à une dégradation des principaux agrégats :

Twin Deficits (déficits jumeaux c’est à dire déficit budgétaire – du fait de la baisse des recettes budgétaires – et déficit du compte courant de la balance de paiements – du fait de la baisse des exportations -, contraction de la demande agrégée, augmentation du ratio dette/PIB du fait de l’augmentation de l’encours et de la dégradation du dénominateur qu’est le PIB en valeur.

Sur plan micro plusieurs secteurs étant en difficultés, cela mettra les entreprises dans des situations difficiles en matière de trésorerie et de maintien de la production du fait de la baisse de la demande.

La conséquence étant la destruction des emplois donc la perte des revenus pour les ménages.

A cela s’ajoute le fait que plusieurs activités s’opèrent dans le secteur informel. Or les mesures de fermeture administrative touchent également ce secteur. L’absence de revenu pourrait fragiliser la situation de bon nombre de concitoyens.

La Lbv : Et sur le plan social ?

RI : J’ai commencé à parler de la destruction des emplois et la perte des revenus, cela en est l’illustration. Beaucoup de petits opérateurs perdront leurs revenus d’activités, du fait de la fermeture de certaines activités.

Bien que la préservation des emplois soit la priorité du chef de l’Etat, il n’en demeure pas moins que certains opérateurs seront dans l’obligation de procéder au chômage technique avec des réductions de salaires. Tout comme, les petits commerçants qui sont totalement privés des revenus. Tout le secteur des services, qui par définition est intensif en emplois, sera fortement affecté par le confinement…

Aussi, les mesures sociales annoncées par le président de la République, chef de l’Etat, sont–elles salutaires pour soulager les populations les plus fragiles.

La Lbv : Justement, le chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba a, début avril, annoncé un plan d’aide massif aux populations et aux entreprises. Ce plan est-il adapté ?

RI : Face à une situation inédite, le chef de l’Etat a annoncé des mesures courageuses pour soutenir l’économie et les populations.

Ce plan permet notamment aux entreprises de bénéficier des financements pour soutenir leur trésorerie, de bénéficier des aides sous formes d’allègement fiscaux ou de report des échéances des crédits bancaires. En cette période particulièrement difficile, il est effectivement indispensable d’aider les entreprises à mobiliser la trésorerie pour couvrir leurs charges fixes, d’une part, et alléger ou reporter certaines charges, d’autre part.

Au niveau social, la préservation des emplois et le soutien aux revenus des ménages apparaissent parmi les priorités du chef de l’Etat. On relève notamment l’instauration d’une indemnité de chômage représentant 70 % du salaire brut et divers soutiens sous forme de prise en charge par l’Etat de certains loyers, du transport public, l’eau et l’énergie, la banque alimentaire, etc. Ce sont là aussi des soutiens adaptés à la configuration sociale de notre pays. Comme l’a annoncé le chef de l’Etat, on constate effectivement que personne n’est laissé de côté. Même si la mise en œuvre de certaines mesures s’avère difficile dans un contexte de confinement général actuel des populations de Libreville. Je pense à la Banque alimentaire et au recensement pour les loyers.

Je dirais donc de façon générale que ce plan est adapté. Il répond à des préoccupations d’offre, de demande et de justice sociale. Mais il faut reconnaître, qu’on ne peut régler tous les problèmes simultanément. L’important est d’atténuer les chocs et d’être prêt à relancer l’économie à la fin de cette pandémie. Le plan est adapté il s’agit maintenant de bien le déployer.

La Lbv : Comment ce plan d’aide devrait-il, selon vous, être financé ?

RI : La problématique du financement des mesures se pose évidemment dans un contexte d’épuisement des marges de manœuvre budgétaires, de perte accrue de recettes budgétaires et de la nécessité de financer les mesures économiques et sociales.

Dans ces conditions, la première mesure est de revoir le budget de l’Etat et de le limiter exclusivement aux besoins essentiels. Les dépenses relatives aux missions, à l’organisation des séminaires, les événements sportifs… doivent par exemple être annulées au profit des dépenses sociales et de soutien à l’économie.

L’ajustement des dépenses sera certainement insuffisant. Il faudra sans doute recourir en plus de cela à l’appui financier des Multilatéraux sous forme d’aide d’urgence. C’est dans cette perspective que le FMI a autorisé le décaissement d’environ 88 milliards de FCFA au profit du Gabon. D’autres partenaires devront imiter le FMI.

Le report ou l’annulation pure et simple de quelques échéances de dette constituerait aussi une bouffée d’oxygène pour notre budget.

La Banque centrale, dans ce contexte devrait pratiquer une politique accommodante, elle devra jouer un rôle plus important en matière de financement des Etats et de l’économie. Le retour momentané des avances statutaires doit être étudié, ainsi que la révision de la réglementation prudentielle pour permettre aux banques de financer l’économie. Cela se traduira par une baisse des réserves, mais c’est pour faire face à des circonstances
pareilles qu’on accumule des réserves.

La lutte contre le Covid-19 est l’affaire de tous. Nous devons tous être solidaires en contribuant massivement au fonds de solidarité mis en place par le Chef de l’Etat.

La Lbv : Les mesures que ce plan d’aide contient pour les entreprises vous semblent-elles suffisantes ?

RI : Les entreprises sont accompagnées sur le plan du financement de leurs trésoreries, le report des échéances de crédits bancaires et les allègements des échéances fiscales et sociales. Cela représente un effort très important de la part des autorités publiques.

C’est dans un contexte aussi exceptionnel que les banques doivent jouer un rôle plus important en continuant à fournir du crédit à l’économie et permettre ainsi de maintenir en vie notre tissu économique. Il est important à cet effet que la COBAC puisse revoir certains ratios prudentiels de façon à tirer profit des mesures de la Banque Centrale.

Il est important par ailleurs que le dispositif puisse prévoir une aide forfaitaire gratuite aux très petites entreprises, comme cela a par exemple été fait dans certains pays.

L’accès de ces dernières au système bancaire étant plus difficile, je crains que certaines d’entre elles ne puissent se relever de la crise.

La Lbv : Quel montant de financement additionnel sera-t-il nécessaire pour aider le Gabon à faire face aux pertes de recettes budgétaires et faire face aux nouvelles dépenses ? Et d’où devraient provenir ces financements additionnels ?

N’ayant pas travaillé sur le compte central et le TOFE de l’Etat, je me contenterai de partir des annonces du gouvernement. Par ailleurs, compte tenu du niveau d’incertitude au niveau mondial quant à la durée de la crise, les estimations actuelles ne sont pas définitives. Les pertes de recettes pourraient atteindre 600 milliards de FCFA selon les dernières estimations du gouvernement. Dans le même temps, la mise en œuvre du soutien est évaluée pour le moment à environ 250 milliards de FCFA, même si une bonne partie de cette manne est attendue des banques sous forme de prêts aux entreprises.

On peut donc estimer qu’en cas de dégradation avancée les besoins de financement pourraient atteindre 700 milliards de FCFA. Comme je l’ai dit précédemment, il faut revoir la voilure de la dépense, solliciter l’appui de la BEAC et des partenaires au développement et manifester un véritable soutien national. Chacun selon ses moyens devrait contribuer au financement du fonds de solidarité.

Une action très forte auprès des multilatéraux pour le traitement de la dette du Gabon serait aussi nécessaire.

La Lbv : Etes-vous partisan d’une annulation ou du report de son remboursement ?

Absolument. A condition qu’elle participe à la relance de l’économie et à la lutte contre la propagation du Covid-19. Tout autre usage des ressources y relatives serait à proscrire.

Par contre tout cela doit se faire en cherchant à maintenir la crédibilité de l’Etat Gabonais. Nous sommes sur les marchés des capitaux, il faut en tenir compte.

Il y aussi la nécessité pour le Gabon de conserver malgré tout sa crédibilité auprès des investisseurs privés car le recours à l’endettement sur les marchés financiers internationaux semble tôt ou tard inévitable.

La Lbv : Comment concilier cette exigence avec la nécessité de l’heure ?

La crise actuelle est une crise mondiale. Toutes les économies du monde connaissent des difficultés, d’ailleurs le FMI prévoit une croissance négative de 3 % pour l’économie mondiale dont -6,1 % pour les pays avancés, c’est dire.

Toutes les économies du monde s’endettent pour lutter contre le Covid-19. Les critères de convergence sur la dette et les déficits budgétaires des Etats sont en train d’être levés partout dans le monde. Le remboursement de la dette ne saurait donc raisonnablement constituer une priorité en 2020. C’est vrai que pour les marchés financiers c’est difficile. Sans une initiative forte des institutions multilatérales, nous continuerons à assurer nos obligations afin d’éviter d’arriver à un défaut de paiements qui serait dommageable pour notre crédibilité. Nous devrons donc absolument bénéficier d’un traitement favorable sur la dette bilatérale et multilatérale afin de continuer à respecter nos obligations sur les marchés des capitaux.

A cet effet, la situation du Gabon est un peu particulière, n’étant pas un pays à revenu faible (IDA) pouvant bénéficier automatiquement des initiatives de désendettement. Nous devons donc plaider notre cause individuellement.

La Lbv : Certains travailleurs du secteur informel sont très exposés à la crise, contrairement aux fonctionnaires par exemple. Quel dispositif faudrait-il mettre en place pour eux qui n’ait pas déjà été prévu par les autorités ?

RI : Il est très difficile d’apporter un soutien au secteur informel sans réelle connaissance de la cible concernée ou d’évaluation des besoins.

La seule solution à mon avis consisterait tout simplement à élargir le filet social en augmentant les aides directs aux personnes les plus fragiles. En plus des mesures de gratuité déjà annoncées par le Gouvernement, on pourrait par exemple augmenter les allocations familiales versées aux personnes fragiles, baisser significativement le prix de la bouteille de gaz pour les personnes sans emplois ou distribuer des bons d’achat pour les bouteilles de gaz.

La Lbv : Certaines entreprises domestiques et internationales prestataires de l’Etat craignent des impayés. Comment éviter une telle situation, sachant que le FMI notamment, qui appelle à une amélioration du climat des affaires, est très vigilant sur ce point ?

RI : La question des impayés renvoie à la problématique de la révision de la dépense et du financement du budget en cette période de crise. Le gouvernement a annoncé l’élaboration d’une LFR. Attendons de la voir. C’est sur cette base qu’un avis objectif pourra être donné. Mais il est clair que sans révision de la voilure de la dépense, sans mobilisation de financements nouveaux, il sera difficile d’honorer tous les engagements. Il faut donc tout faire pour éviter d’en arriver là.

La Lbv : Au sortir de la crise, quelles leçons le Gabon devra-t-il tirer à titre principal sur le plan économique et social ?

RI : Sur le plan économique, la diversification de l’économie doit être accélérée afin de réduire davantage le poids du pétrole. Notre économie doit également être moins dépendante de l’extérieur sur le plan alimentaire, car avec la fermeture des usines dans le monde et les frontières, nous ne sommes pas à l’abri de la crise alimentaire.

Le secteur informel doit enfin faire l’effort de se régulariser afin de mieux bénéficier du soutien de l’Etat en cas de crise.

Sur le plan social, des gros efforts sont attendus en matière de construction de logements sociaux. Si de nombreux gabonais bénéficiaient des logements sociaux, les mesures de gratuité des loyers, d’eau et d’électricité seraient faciles à mettre en œuvre par exemple. Tout comme, il serait plus facile de distribuer les produits alimentaires.

L’alimentation et le logement sont les plus grosses dépenses du panier de la ménagère. La crise actuelle vient à nouveau de démontrer que, sans production locale des aliments, sans logements sociaux, il est difficile de soutenir les plus fragiles.

La Lbv : Si certaines choses devraient fondamentalement changer au Gabon dans le « monde d’après », ça devrait être lesquelles ?

RI : La politique d’épargne du gouvernement : avoir des réserves pour prévenir tout retournement conjoncturel est une obligation.

La politique agricole de notre pays. Nous devons produire au moins la moitié de ce que nous consommons.

La politique du logement. Même en cas de perte ou de réduction de revenu, les Gabonais ne doivent pas être stressés par leurs bailleurs.

Et enfin, le développement de l’économie numérique.

Pour faire tout cela, une approche inclusive est indispensable. Tous les gabonais doivent se sentir concernés par le nouveau paradigme. Il nous faut sans populisme réconcilier l’économie et la population à travers des politiques économiques vertueuses. Nous devons être des soldats de la dynamique économique et sociale du Gabon.

Vous savez, les difficultés de court terme ne doivent pas masquer le potentiel économique que nous avons à moyen terme.
Commentaires


Comment