Si la vieille Europe découvre les charmes de nouvelles alliances, les enjeux sont de plusieurs ordres.
Par sa fulgurante progression, le coronavirus donne l’impression de bousculer l’ordonnancement géopolitique du monde. En touchant pas moins de 178 pays sur les cinq continents, il semble s’attaquer à l’ordre établi : s’étant longtemps crue omnipotente et omnisciente, la vielle Europe se révèle impotente et ignorante ; s’étant crus invulnérables, les Etats-Unis d’Amérique se retrouvent face à leurs faiblesses, découvrant leurs propres vanités. Pendant ce temps, des puissances émergentes et d’autres encore en profitent pour avancer leurs pions : en volant au secours de l’Italie – 8ème puissance industrielle du monde, à la fois membre-fondateur de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) et de la Communauté économique européenne (CEE- ancêtre de l’Union européenne) – la Chine, la Russie et Cuba n’ont pas seulement fait montre de solidarité. Ils ont ébranlé bien des certitudes, s’essayant à une remise en cause du legs de l’après-guerre. D’une certaine manière, leur apparent élan d’humanisme jette le doute sur la pertinence d’un discours idéologique vieux de 70 ans.
Un message plus politique
Longtemps nourrie à un mélange de propagande libérale, de doxa atlantiste et de novlangue européiste, la vieille Europe découvre les charmes de nouvelles alliances. Quand bien même l’Italie a toujours entretenu des relations diplomatiques et commerciales avec la Chine, la Russie et Cuba, ses nouvelles fréquentations laisseront des traces. Même si on peine encore à en mesurer la portée, elles entraîneront des changements, ces trois pays ayant longtemps été les porte-voix de l’idéologie communiste. Derrière l’humanisme et la «politique constante de solidarité médicale» vantée par la diplomatie cubaine, les enjeux sont de plusieurs ordres. Autrement dit, si elle vise à sauver des vies humaines, cette assistance médicale porte aussi un message plus politique : tout en brouillant les alliances traditionnelles, elle met en lumière les insuffisances des sociétés occidentales, pourtant réputées pour leur organisation, leur maîtrise de la science et leur attachement aux libertés et droits fondamentaux.
En portant assistance à l’Italie, la Russie a pris de vitesse les Etats-Unis, s’avançant sur un terrain où ses compétences ne font pas toujours l’unanimité. Dans le même temps, la Chine a laissé à Donald Trump le monopole de la polémique sur l’origine du virus, préférant se retrousser les manches pour apparaître comme plus pragmatique. Comme pour mettre en exergue les manquements des Etats-Unis et l’inanité d’un embargo vieux de plus d’un demi-siècle, Cuba s’est engouffré dans la brèche : ayant toujours affirmé souffrir des restrictions américaines sur les importations de médicaments, le pays de Fidel Castro en a profité pour faire la leçon au monde occidental, médiatisant aussi son savoir-faire. L’ordre libéral actuel est-il pour autant à bout de souffle ? Saura-t-il faire preuve de résilience ? A contrario, la Chine pourra-t-elle s’imposer et jeter les bases d’un nouvel ordonnancement du monde ? Voire…
Anticiper les répercussions
Conçu par les États-Unis et leurs alliés occidentaux pour réduire les risques de conflits armés et en finir avec le nationalisme économique, l’ordre international actuel repose sur trois piliers : l’Organisation des Nations-unies (ONU), le système financier international (Fonds monétaire international – FMI, Banque mondiale et, Organisation mondiale du commerce – OMC) et, le traité de l’Atlantique nord. La crise sanitaire en cours est-elle en train d’ébranler l’ONU dans ses fondements ? Au vu du rôle joué par les agences onusiennes (OMS, Unicef et Pnud) nul ne peut le soutenir. Remet-elle en cause les fondements économiques d’une paix durable ? À en juger par la tonalité du discours de Xi Jinping, lors du sommet extraordinaire du G20 du 26 du mois courant, personne ne peut l’affirmer. Ruine-t-elle le mythe de la solidarité atlantique ? En novembre 2019, Emmanuel Macron jugeait l’Otan en «état de mort cérébrale.» Même si cette sentence n’avait pas été du goût de ses alliés, elle atteste au moins d’une chose : depuis la chute du rideau de fer, l’atlantisme peine à se réinventer. En conséquence, ses errements ne sauraient être décrits comme la conséquence du covid’19.
Le covid’19 continue de tenir le monde en haleine. Pour combien de temps encore ? Nul ne le sait. Pour l’heure, de nombreux cercles de réflexion s’efforcent d’en anticiper les répercussions, quitte à jouer les Cassandre. Dans un futur plus ou moins proche, ces prédictions et analyses seront confrontées aux faits. D’où la nécessité d’y aller avec prudence et méthode. À cet effet, il convient de rappeler une donnée de base : même si elles ont été à l’origine d’évolutions notables, ni la crise des années 1930, ni la Seconde guerre mondiale, ni la guerre froide n’en ont eu raison de l’ordre international hérité de la Pax Britannica du XIXème siècle. Le coronavirus y parviendra-t-il ? L’avenir nous le dira…