Un peu plus d’un mois après la vague d’enlèvement supposés de fin janvier ayant secoué le Gabon et notamment Libreville, l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), présidée par Jean-Elvis Ebang Ondo, a publié un rapport remis à des instances nationales et internationales. L’association liste les cas qu’elle juge être des crimes rituels ou des tentatives d’enlèvement récentes, et invite toute victime ou proche de victime porter plainte malgré « l’impunité des commanditaires » de ces actions.
«Il ne se passait pas un jour sans qu’on parle de tentatives d’enlèvements d’enfants, de crimes rituels à Libreville et dans le reste du pays», selon l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR), qui pense que des enfants ont été «enlevés pour être sacrifiés» pour des « crimes rituels » – des meurtres à visée fétichiste – ou du « trafic d’organes« .
Le mois de janvier 2020 avait été marqué par une supposée « vague d’enlèvements » – restée au stade de «rumeur» selon les autorités qui ne reconnaissant qu’une seule disparition, celle du petit Rinaldi vers Bitam le 12 janvier. Par ailleurs, aucune famille de présumés disparus, sauf celle de Rinaldi, s’est ouvertement prononcée dans les médias. L’association existant depuis 2005 et ayant pour objectif, entre autres, d’épauler les proches de victimes dans leurs actions en justice, a rédigé un rapport sur les événements du mois de janvier, dont Gabonreview est entré en possession.
L’ALCR liste plusieurs avis de recherche et tentatives d’enlèvements –
Dans son rapport, l’association rappelle que plusieurs avis de recherche d’enfants avaient été lancés sur les réseaux sociaux en janvier, et que quelques personnes ont dit avoir été victimes de tentatives de kidnapping. «Il y avait plusieurs cas signalés (de disparitions, NDLR): le 7 janvier 2020 Ruth Angelina Minkue mi-Ella ; le 13 janvier 2020 Armel Toussaint Ndong Nguema à Bikele à une vingtaine de kilomètres de Libreville. Ce même 13 janvier 2020 : Darcy Grâce Mboumba, Alice Otsagha, Lucrecia Eda Zewe. Arkad au quartier Cosmopark de Libreville Miranda du lycée d’Etat de Libreville ; Yvan ; le 16 janvier un adulte : Orphé Naic Lendoye ont tous été déclarés disparus par leurs proches», écrit l’ALCR.
L’association rappelle le cas du petit Rinaldi Abagha, disparu le 12 janvier dans un village près de Bitam. Il est le seul cas reconnu par les autorités, la famille ayant également fait grand bruit dans les médias. L’enquête est toujours en cours pour retrouver le kidnappeur de l’enfant ainsi que le jeune garçon de trois ans. Le 21 janvier, la jeune Maeva, en classe de 1ère au lycée de Sainte-Marie à Libreville, dit avoir subi une tentative d’enlèvement en sortant des cours. Elle témoigne dans un audio circulant sur les réseaux sociaux où elle dit avoir été poussée de force dans une voiture. Une enseignante, Mme Maguy, témoigne sur YouTube avoir été agressée dans un taxi, et parle de tentative d’enlèvement.
Le 20 janvier, une marche de femmes contre les enlèvements d’enfants n’avait «pas connu l’engouement souhaité» au rond-point de la Démocratie, où des camions de police avaient été stationnés, rappelle l’ALCR. Les tensions sont à leur pic les 23 et 24 janvier. Libreville s’embrase, notamment aux abords des établissements, où des élèves et des passants disent avoir assisté à des enlèvements d’enfants et tentent de rattraper des présumés kidnappeurs, sans chercher souvent à savoir s’ils ont vraiment enlevé des enfants. La justice populaire rattrape certains d’entre-deux et deux, au moins, succombent aux coups de la foule en colère sans aucune forme de procès. Les autorités parlent de «rumeurs» ayant déclenché les émeutes. Fin janvier, une jeune fille est arrêtée à la Direction générale des recherches (DGR) pour «fausses propagations de kidnapping» après être apparue sur une vidéo Facebook où elle est présentée comme ayant subi une tentative d’enlèvement. «Beaucoup de personnes disent avoir peur de porter plainte, et pensent que leurs démarches ne serviraient à rien», explique Jean-Elvis Ebang Ondo, président de l’ALCR.
Quelques corps retrouvés
L’association dresse ensuite dans son rapport une liste des corps retrouvés qu’elle juge être des crimes rituels. Elle parle d’«une fillette d’un an victime d’un kidnapping assassinée pour 500.000 FCFA dans le village Ouellé sur le site de SUCAF Gabon, situé à 40 km à l’ouest de Franceville. Les présumés assassins ont été arrêtés par les forces de sécurité le 31 janvier 2020.» Un reportage sur le sujet a été diffusé sur Gabon24, où les kidnappeurs s’expriment, mais le reportage ne mentionne cependant pas un «crime rituel». Contactée par Gabonreview, la famille parle de «crime rituel» au vu de l’état du corps et de l’arrestation des kidnappeurs, qui n’auraient pas donné le nom du commanditaire de l’enlèvement.
L’association pense aussi à un «crime rituel maquillé» pour Edouard Marcel Nguemo, 31 ans. L’homme avait été retrouvé mort au PK5 de Libreville le 6 février, 17 jours après sa disparition, baignant dans une flaque d’eau, selon les informations recueillies par Gabonreview. L’enquête n’a pas pu déterminer s’il s’agissait ou non d’un crime rituel. La dépouille était en état de décomposition avancée et avait été enterrée aussitôt, selon la famille contactée par Gabonreview. Le fait que le pantalon de la victime soit baissé jusqu’aux genoux, pouvait laisser penser à un acte de pénétration anale, pensaient les témoins.
Dans son rapport, l’ALCR ajoute un cas datant de fin 2019. Jean-Elvis Ebang dit avoir été saisi par la famille de Mme Bouanga Likouma, 80 ans, résidant à Mimongo dans la Ngounié. «J’ai appris que son corps a été retrouvé chez elle, elle était égorgée comme vidé de son sang, et sans trace de sang autour, ce qui fait penser que le sang a été récolté», explique M. Ebang joint par Gabonreview.
Il est utile de porter plainte, insiste l’ALCR
En fin de rapport, l’association propose six recommandations aux autorités et à la population. Un «plan d’action national des droits de l’homme» devrait être mis en place, ainsi qu’un «numéro vert» ou encore un «accès gratuit aux médias d’Etat à la population en détresse» et des «émissions pédagogiques (…) sur le respect du droit à la vie».
L’association, qui se plaint régulièrement du nombre limité de «sessions criminelles» par an au Gabon, pense qu’il serait même nécessaire de tenir des «sessions criminelles uniquement sur les crimes rituels.» Mais surtout, Jean-Elvis Ebang insiste : porter plainte est une étape nécessaire pour identifier un cas d’enlèvement ou une mort suspecte. Selon les constatations du président de l’ALCR, les proches de victimes ou les victimes de tentative d’enlèvement sont de plus en plus réticents à porter plainte par peur, ou encore par lassitude.
Ebang rappelle que les commanditaires des crimes rituels – qui seraient des personnes haut placées payant des exécutants – ne sont jamais arrêtés. Parfois, les commanditaires font partie de la famille de la victime, et l’affaire devient d’autant plus compliquée, explique le président de l’ALCR qui dit faire face à de nombreuses familles qui refusent même de lui parler.