Circulation, partage plutôt que restitution, tel est l’avis de l’ancien président du musée du Quai Branly, Stéphane Martin, au sujet du souhait du président français de restituer à l’Afrique subsaharienne ses œuvres d’arts pillées pendant la colonisation.
Au cours de son audition par la commission culture du Senat français, le 19 février 2020, sur la restitution des œuvres d’art aux pays africains, Stéphane Martin, l’ancien président de l’établissement public du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, n’a pas été tendre envers les universitaires Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis au Sénégal et les conclusions de leur rapport commandé par le président Emmanuel Macron et remis fin 2018.
«L’une des caractéristiques du rapport Sarr-Savoy, c’est qu’il a été demandé à deux personnes qui ne sont pas des gens de musées. En Afrique, les intellectuels privilégient les carrières universitaires, ce sont des écrivains, des enseignants, des artistes, mais ils ne sont pas intéressés par les carrières muséales. Felwine Sarr n’est pas du tout un homme de musées et Bénédicte Savoy est historienne, spécialiste des collections napoléoniennes. C’est un choix plutôt étrange», a-t-il souligné, indiquant que «ces auteurs, au lieu de répondre à la question, ont parlé de ce dont ils avaient envie de parler : les crimes de la colonisation et leur réparation».
En effet, selon le haut fonctionnaire, resté vingt et un ans à la tête de ce musée abritant la plus grande collection française d’arts premiers, la question des restitutions ne peut être traitée qu’individuellement ou par groupe d’objets. On ne peut pas considérer que tout ce qui s’est passé pendant une période est nul et non avenu, comme le propose le rapport, qui jetterait l’opprobre sur toutes les acquisitions faites avant 1962.
«Ce rapport est enfin un cri de haine contre le concept même de musée. Je suis d’ailleurs étonné que le ministère de la Culture n’ait pas réagi à ce propos. Le musée est présenté comme une invention occidentale, voire un lieu criminel, où l’on retire leur magie aux objets, qui sont abandonnés à la perversité de Picasso ou d’Apollinaire…», a déploré Stéphane Martin, estimant qu’il faudrait parler de circulation des œuvres à travers des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés, et non pas la restitution, comme recommandé par les deux chercheurs en 2018, dans leur rapport remis au président français Emmanuel Macron.
Le rapport Savoy-Sarr évalue à 90 000 le nombre d’objets ramenés d’Afrique et aujourd’hui conservés dans les musées de l’Hexagone. Notamment au musée du Quai Branly, soit 70.000 pièces. Le Tchad arrive en tête des pays d’origine de ces œuvres, en quantité, avec plus de 9 000 pièces. Viennent ensuite le Cameroun, Madagascar, le Mali puis la Côte d’Ivoire, le Bénin, l’Éthiopie, le Gabon ou le Congo.