L’Etat ne doit ni céder à la justice-spectacle ni entretenir de faux débats. Comme la prévention, la lutte contre la justice populaire relève d’abord de la gouvernance politique.
Entre peur et colère, des populations se sont exprimées. De la pire des manières. S’étant laissées gagner par l’émotion, elles ont sombré dans une vindicte peu recommandable. Il y a eu des morts. Peu importe leur nombre, un mort est toujours un mort de trop. Le message envoyé par les événements de ce vendredi de folie et de déraison ne correspond ni aux valeurs de la République, ni aux principes démocratiques encore moins au fondamentaux du vivre-ensemble. Les pouvoirs publics semblent surpris, choqués, par ce déferlement de violence. Pourtant, cette vendetta d’un autre âge était prévisible. Au vu de la désinvolture voire du cynisme affiché dans le traitement des crimes rituels, chacun pouvait entrevoir cette issue. Sans jouer les pousse-au-crime mais sans se poser en chantre d’une justice à la carte, on doit en convenir : le recours à l’auto-justice a mis en lumière le déficit de confiance dans les institutions en charge de l’ordre public.
S’attaquer aux causes
Personne n’a intérêt à vilipender la police. Nul ne gagne à jeter le discrédit sur la justice. N’empêche, trop d’enquêtes ont été laissées en plan. Trop de crimes sont restées impunis. Trop d’affaires sont demeurées des mystères. Entre janvier et mai 2013, l’Association de lutte contre les crimes rituels (ALCR) avait dénombré pas moins de 24 assassinats avec prélèvements d’organes, dans la seule région de Libreville. Malgré le battage médiatique, ce répugnant phénomène est toujours d’actualité. En dépit de la promesse du président de la République de n’accorder «aucune complaisance (aux) assassins comme (aux) commanditaires de crimes rituels», des personnalités régulièrement mises en cause continuent de vaquer à leurs occupations. Vécu comme une injustice, cet état de fait a généré frustration, rancœur voire haine. Comme on pouvait le redouter, une idée fixe a gagné le petit peuple : le régime en place protège les uns et contraint les autres.
L’État ne doit ni céder à la justice-spectacle ni entretenir de faux débats. Comme la prévention, la lutte contre la justice populaire relève d’abord de la gouvernance politique. Tout en laissant la justice faire son travail dans la sérénité, il faut aller au fond des choses. Sans sombrer dans l’exploitation politicienne de la douleur des familles des victimes, il faut s’attaquer aux causes. La protection des personnes et des biens ? C’est une mission régalienne de l’État. Pour les pouvoirs publics, c’est une mission prioritaire. Or, dans ce domaine, ni les moyens ni les compétences, encore moins les résultats, ne sont au rendez-vous. Une fois de plus, les malheureux événements du 24 janvier dernier l’ont démontré. Comment inciter les gens à s’en remettre à la justice quand les principaux dirigeants jouissent d’une impunité totale, quand les institutions s’affranchissent des règles de droit, quand les tous les leviers de pouvoir sont concentrés entre les mêmes mains ou quand les plaignants sont systématiquement déboutés ou moqués ?
Y aller par étapes
Pour prévenir ou lutter contre l’auto-justice, il faut se garder des formules simplistes. N’ayant brillé ni par leur impartialité ni par leur efficacité, nos forces de sécurité gagneraient à revoir leur mode de faire. Appelées à parer le danger tout en respectant les libertés, elles doivent se résoudre à agir avec précaution et rigueur. Elles ne peuvent se contenter d’enregistrer des plaintes sans jamais leur donner de suites. Elles ne doivent pas continuer à prétexter un manque de carburant pour ne pas se déplacer. Surtout, elles doivent se mettre au service non pas des plus puissants mais de l’ensemble de la population. A quelque chose près, ces recommandations valent pour la justice : perçue comme trop inféodée au pouvoir politique, elle a fini par ruiner son crédit, se coupant du peuple chaque jour davantage, tout en installant méfiance et défiance à son égard.
La diffusion du film des auditions de certains justiciers, la polémique sur le rôle des réseaux sociaux, les condamnations lancées à tire-larigot, le recours à l’émotion, toute cette rhétorique témoigne de la difficulté à aborder le problème par les causes. Pourtant, dans un environnement où l’information officielle est toujours prise avec des pincettes, où les élites dirigeantes sont regardées de travers par la population, la restauration de la confiance apparaît comme une urgence. Pour ce faire, il faut y aller par étapes. D’abord la manifestation de la vérité : sur les fondements de la rumeur comme sur le déroulement des événements. Ensuite la justice pour l’ensemble des parties. Enfin, des réformes juridiques et institutionnelles de fond. Pour le pouvoir en place, la lutte contre l’auto-justice pourrait prendre des airs d’aggiornamento.