L’annulation du paiement en nature de la Redevance minière proportionnelle (RMP) par le ministre des Mines, du Pétrole, des Hydrocarbures et du Gaz, a surpris et donné lieu à bien de supputations et extrapolations. Proches du dossier, des agents de la Direction générale des hydrocarbures (DGH) en livrent des explications. Là où Vitol engrange plus de 400 millions de dollars (environ 238 milliards de francs CFA).
La décision du 16 octobre dernier indiquait aux producteurs pétroliers, contributeurs de la Redevance minière proportionnelle (RMP), qu’ils devaient, à partir de janvier 2020, affecter des volumes de brut à l’État en lieu et place de l’argent. Dans ce schéma, Gabon Oil Company (GOC) devait se charger de la vente de ces cargaisons et en affecter les bénéfices au Trésor public. Si, après la rétractation de ce lundi 26 novembre, il a été bien difficile de joindre et faire parler Noël Mboumba, ministre des Mines, du Pétrole, des Hydrocarbures et du Gaz, ou des membres de son cabinet, des techniciens de la Direction générale des hydrocarbures expliquent la rétractation annoncée hier aux producteurs de pétrole brut du Gabon.
Le Gabon n’était techniquement pas prêt
«Après réflexion, l’État a préféré revenir sur sa décision, du moins de la surseoir. La mesure devant entrer en vigueur en janvier, le Gabon n’a pas eu suffisamment de temps pour identifier et sélectionner les traders les mieux-disants. Le ministre a jugé que le pays n’était techniquement pas prêt», explique un cadre de la Direction des hydrocarbures proche du dossier. Et un autre de révéler : «L’approche du marché du trading n’a pas été facile, surtout que Vitol qui se voit perdant a créé de la frilosité et de la méfiance envers le Gabon en insufflant l’idée que le pays est en proie à une instabilité institutionnelle du fait de la maladie du président et de quelques tensions sociales, notamment dans le secteur pétrolier. Tout cela n’est pas pour rassurer les potentiels preneurs. Alors, plutôt que d’être pris de court, il vaut mieux prévenir».
Reverser la RMP en nature. Le principe n’a rien de nouveau, il a déjà été expérimenté, avec plus ou moins de succès, au Congo-Brazzaville et au Tchad. Il consiste pour un pays à lever des fonds en vendant soi-même son brut. Ce qui permet d’engranger plus de recettes en vue financer des projets structurants, à l’instar de la route nationale, de 2×4 voies, dénommé «la Trans-gabonaise» et devant relier Libreville et Franceville sur 780 km. L’argent public du partenariat public-privé pour la réalisation pouvait notamment provenir de ce mécanisme.
Les gains de Vitol et l’idée de départ
L’idée d’origine était donc d’éviter désormais les intermédiaires afin d’engranger un maximum de gain de la vente du brut issu de la RMP. Il est connu que Vitol, l’une des principales sociétés de trading pétrolier au monde, s’occupe depuis 2013 du courtage du pétrole gabonais à l’étranger. Le géant du trading prélève au passage d’énormes commissions qui pourraient revenir au Gabon si le pays vendait lui-même son brut. C’est dans cette optique que Gabon Oil Company ambitionne de devenir à terme une société de trading à l’international. Publié en juillet 2014 par trois ONG suisses, un rapport fort documenté démonte les manigances de nombreux traders au détriment des pays africains producteurs de pétrole. Cette année-là par exemple, Vitol avait vendu pour l’Etat gabonais plus de 400 millions de dollars (environ 238 milliards de francs CFA) de pétrole. Si le montant de ses commissions est aussi opaque que le pétrole brut, on imagine bien qu’il n’est pas modique.
Un levier potentiel de 1000 milliards sur les marchés financiers
Selon l’un des fonctionnaires rencontrés à la Direction des hydrocarbures, en l’état actuel des choses la RMP rapporte jusqu’à 280 milliards de francs CFA par an. «Directement vendu par le pays, de telles recettes peuvent permettre au Gabon de lever, en quatre ans, jusqu’à 1000 milliards sur les marchés financiers. Une manne pouvant aider à financer les grands projets prioritaires.» Revenant sur ce que nombreux ont traité de rétropédalage, le fonctionnaire explique que «les dispositions du CEPP [Contrat d’exploration et de partage de production – ndlr] prévoient que le Gabon peut moduler en cas de besoin le mode de paiement de la RMP. Il n’y a qu’à consulter la Loi n°002/2019 du 16 juillet 2019 portant réglementation du secteur des Hydrocarbures en République Gabonaise qui indique que les modalités de liquidation et de paiement de la RMP sont fixées dans tous les contrats d’hydrocarbures». Rien de bien nouveau, le principe serait donc modulable à souhait par l’administration des hydrocarbures.
Il reste que pour une frange de l’opinion, cette rétractation, bien que justifiable, intervient dans un contexte où un autre projet – le décret portant transfert, à titre gracieux, de certains des titres fonciers appartenant à l’État à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) – a récemment été purement et simplement annulé. Nombreux sur les réseaux sociaux indexent Brice Laccruche Alihanga, précédent directeur de cabinet du président de la République et son «messager intime», qui aurait porté et imposé le projet de paiement en nature de la RMP à Noël Mboumba, soi-disant au nom du chef de l’État. La reprise en main de la marche du pays par le Premier ministre et le chef de l’État permet, selon certains, de restaurer l’ordre des choses et d’aborder les changements sans précipitation.