Au-delà des accusations de malversation ou de la volonté de déconstruire l’Association des jeunes émergents volontaires (Ajev), ces arrestations consacrent l’échec du fameux «septennat de la jeunesse».
On peut parler de dégâts collatéraux. On peut évoquer des règlements de comptes entre amis. Mercredi dernier, l’ancien directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie et de garantie sociale (CNAM-GS) a été arrêté puis auditionné par des éléments de la direction générale des Recherches (DGR). Le lendemain, l’ancien directeur général de la Caisse de stabilisation et de péréquation (Caistab) a été interpellé par les agents de la direction générale de la Contre-ingérence et de la sécurité militaire (DGCISM, communément appelée B2). L’un et l’autre sont soupçonnés de malversations financières. Mais, derrière ces accusations, chacun décèle une volonté de déconstruire l’Association des jeunes émergents volontaires (Ajev). Si chacun y voit l’échec du fameux «septennat de la jeunesse», ces arrestations mettent en lumière un déficit de gouvernance.
Débauche d’argent à l’origine inconnue
Sans pour autant absoudre les mis en cause, il faut se pencher sur les pratiques du régime. Depuis sa création, l’Ajev a bénéficié de toutes les protections et complicités. En dépit de ses antécédents judiciaires, son fondateur s’est vu bombardé directeur de cabinet du président de la République. Dans la foulée, il s’est vu confier la direction du cabinet du président du Parti démocratique gabonais (PDG). Fort de cet inédit cumul, Brice Laccruche-Alihanga s’est pris pour le suppléant du président de la République. Enivré par l’illusion du pouvoir, il a entrepris de profiler l’Etat à son image : jeunesse, transgression et irresponsabilité. Dans le silence complice des institutions, ses comparses ont hérité des meilleurs fromages du pays. Sous le regard envieux des barons du PDG, ils ont entamé leur entreprise de prédation. Malgré les réserves de l’opinion, la propagande officielle les présentait comme des cracks, porteurs du renouvellement de la pratique politico-administrative. Si des malversations ont pu avoir lieu, la complaisance du régime y est pour beaucoup.
Tout en apportant leur lot de bizarreries, les élections couplées d’octobre 2018 auront confirmé certaines habitudes. Issus de l’Ajev, deux partis-écrans ont fait irruption dans l’arène politique. A grand renfort de moyens, le Rassemblement pour la restauration des valeurs (RV) et les Socio-démocrates gabonais (SDG) ont organisé l’enrôlement et la transhumance des électeurs. Par une débauche d’argent à l’origine inconnue, ils ont lancé de nombreux candidats, damant le pion aux partis traditionnels, au grand bonheur du PDG. Investis par le PDG, des directeurs généraux d’établissements publics ont systématiquement mis la main à la poche, s’autorisant à financer d’autres candidatures. De par les sommes annoncées, les locales et législatives de 2018 feront à jamais date dans certaines contrées. «Avec quel argent le DG de la CNAM-GS et le DG adjoint de la SEEG mènent-ils leurs campagnes dispendieuses ?», demandait, le 2 octobre 2018, un représentant de l’opposition à l’émission le «Grand débat» sur Gabon 1ere. Peine perdue…
Soupçons d’intrigues politiciennes
C’est une lapalissade : pour garantir l’hégémonie du PDG et ses alliés, de nombreux gestionnaires de deniers publics ont régulièrement été sollicités. De ce point de vue, on ne peut dissocier le comportement des figures emblématiques du pouvoir de la pratique en vigueur. Après tout, la transparence et la responsabilité n’ont jamais été la tasse de thé du régime. Bien au contraire. Les anciens directeurs généraux de la CNAMGS et de la Caistab ont peut-être fauté. Mais, leurs agissements correspondent à des habitudes établies, à la culture de leur camp politique. Comment et pourquoi ont-ils été parachutés à ces prestigieuses fonctions ? N’avaient-ils pas un mandat implicite et inavoué ? Ne devaient-ils pas contribuer au financement des candidats et partis politiques de la nébuleuse Ajev ? Plusieurs fois mis en cause dans la presse, Renaud Allogho Akoué et Ismaël Ondias Souna ont continué à bénéficier de la protection du régime. N’eût-été l’éviction de Brice Laccruche-Alihanga, ils s’en seraient prévalus encore pour longtemps. Pourquoi ? Pourquoi eux et pas d’autres ?
En organisant la chute de Renaud Allogho Akoué et Ismaël Ondias Souna, le pouvoir a ouvert la boîte de Pandore. A moins de légitimer les soupçons d’intrigues politiciennes, il doit se plier aux règles en vigueur : publier les audits existants et demander à la Cour des comptes d’en ordonner, avant de donner des suites judiciaires. Il doit, tout autant, demander la nomination de commissaires aux comptes indépendants, censés présenter aux conseils d’administration des rapports sur l’état financier des établissements. Ces exigences doivent être valables pour l’ensemble des établissements publics ou sociétés à participation financière publique. Autrement, chacun pourra y aller de cette double conclusion : ces jeunes managers se sont inscrits dans la pratique chère au régime, leur déchéance participe d’un simple règlement de comptes.