Comment se terminera la polémique sur la cession des titres fonciers de l’Etat à la Caisse des dépôts et de consignation (CDC) ? Quelle appréciation l’histoire portera-t-elle sur cette question ? Nul n’oserait être définitif. N’empêche, on peut risquer le parallèle avec une des réformes les plus emblématiques de l’ère Ali Bongo : la transformation de nombreuses administrations centrales en établissements publics, souvent baptisés «agence». Se trouverait-il aujourd’hui des gens pour professer la justesse de cette option ? Y’ en aurait-il pour vanter l’efficacité de la méthode ayant débouché sur leur mise en place ? De toute évidence, pas grand-monde. Pourtant, avec la même fougue et le même empressement, certains y vont de leurs certitudes, se laissant même aller à des attaques ad hominem.
Source de tensions sociales et de crises politiques
Sans traiter par le mépris les tenants de la thèse officielle, il faut recentrer les débats. Si elle pointe des risques d’accaparement des terres, la campagne «Touche pas à ma terre» ne parle nullement de cession de l’ensemble du territoire national. Si elle émet implicitement des doutes sur la capacité de la CDC à conduire une telle opération, elle ne conteste en rien son statut d’entité publique. En aucune manière elle ne remet en cause son mandat. La Banque gabonaise de développement (BGD) étant en phase de liquidation, notre pays ne dispose plus d’instrument financier à même de fournir des capitaux à risque. Dès lors, on peut comprendre la volonté du gouvernement d’«accroître le patrimoine» de la CDC. On peut aussi expliquer le désir de lui offrir une plus grande capacité d’endettement.
Pour autant, tout cela ne saurait occulter l’un des enjeux majeurs de la lutte entre investisseurs internationaux : le contrôle du capital naturel, particulièrement les ressources en sols et en eau. Les entreprises transnationales, les banques, les fonds d’investissement ne reculent devant rien pour les acquérir. Malgré les campagnes de dénonciation menées par des Organisations non gouvernementales (ONG) comme Grain ou la Coalition internationale pour l’accès à la terre, le mouvement va s’amplifiant, principalement en Afrique. En dépit de l’implication des Nations-unies à travers le Code de bonne conduite de la Banque mondiale ou les directives sur la gouvernance foncière de la FAO, les terres africaines tombent, chaque jour un peu plus, dans l’escarcelle de l’oligarchie financière internationale. Ces dernières années, ces transactions foncières ont été particulièrement importantes à Madagascar, en Ethiopie, en République démocratique du Congo, en Tanzanie et au Soudan. Dans la plupart des cas, elles ont été source de tensions sociales voire de graves crises politiques. Parfois, elles ont même entraîné la chute des pouvoirs en place, comme en atteste la trajectoire de Marc Ravalomanana à Madagascar.
Les marchés financiers ? Ni des mécènes, ni des philanthropes ou des moralistes
Comme la CDC aujourd’hui, les défenseurs de ces opérations plaidaient l’urgence de mobiliser des fonds pour financer des projets sociaux. Aux tenants de cette thèse, il faut redire une chose : les marchés financiers ne sont animés ni par des mécènes, ni par des philanthropes et encore moins par des moralistes. Du fait des insuffisances en information, les marchés financiers n’ont pas de fonction autorégulatrice. Y prédomine, la recherche du profit à très court terme. Faut-il minimiser ces remarques ? Peut-on, sans mot dire, laisser la CDC s’engager dans des prêts hypothécaires avec comme garanties des titres fonciers relevant du patrimoine de tous et chacun ? Quand bien même les mécanismes varient selon les cas, les expériences d’autres pays incitent à la prudence. Si l’on comprend la volonté du gouvernement de muscler la CDC, on ne peut rester insensible aux risques induits par la mise en hypothèque de terres. Surtout, au regard du silence entretenu sur leur localisation.
Si la CDC avait déjà apporté la preuve de sa rigueur, de sa capacité à s’adapter, à anticiper ou à conduire des projets sociaux, on pourrait plaider le bénéfice du doute. Or, rien aujourd’hui ne permet de croire en sa capacité à survivre dans un océan infesté de requins de la finance internationale. Bien au contraire, l’échec du Plan de relance de l’économie (PRE) et le silence sur le devenir de son Plan stratégique 2017/2021 incitent à la méfiance. Après tout, en octobre 2017, au moment de sa prise de fonction, l’actuel directeur général de la CDC s’était vu assigner deux missions essentielles : servir de bras séculier au gouvernement dans la mise en œuvre du PRE et exécuter la stratégie de dynamisation de la structure. Le gouvernement l’ignorait-il au moment de prendre sa décision ? Peu importe. Pour l’heure, il a ouvert le débat. Il lui appartient maintenant d’y prendre toute sa part, sans tabou et en toute humilité.