Au lendemain du discours de l’ex-candidat unique de l’opposition, nombreuses sont les voix à s’élever au Gabon pour critiquer la couverture faite par RFI.
Complaisant. C’est ainsi que beaucoup, au Gabon, jugent la couverture des propos publics de Jean Ping ce samedi depuis un salon de l’Hôtel triomphal à Libreville.
Alors que l’opposant a menacé en des termes à peine voilés la France et pointé à la vindicte populaire les ressortissants français présents au Gabon, RFI, dont le siège se trouve pourtant à Paris, n’en a dit mot, préférant mettre en avant les aspects les moins repoussants de son discours.
« Des propos d’une telle nature ne sont pas anodins dans la bouche d’un responsable public. Ils peuvent avoir de graves conséquences sur la sécurité de milliers de personnes », s’inquiétait hier soir un ambassadeur européen en poste à Libreville.
Dans la même veine, RFI s’est gardée de relever que les propos, à la limite de la xénophobie, de Jean Ping déniant à Brice Laccruche Alihanga, le directeur de cabinet du président Ali Bongo, sa nationalité gabonaise sont tout simplement faux. Il y a quelques années M. Ping avait déjà utilisé ce procédé contre le président Ali Bongo, laissant entendre qu’il serait de nationalité nigériane.
Vision romantique de l’opposition
Pourquoi RFI a-t-elle gardé le silence sur de tels propos ? Un journaliste du quotidien institutionnel L’Union avance une explication, partagée au sein de l’opinion publique gabonaise. « RFI, comme d’autres médias occidentaux, ont une vision romantique de l’opposition. Ces médias estiment qu’il est de leur devoir de défendre le faible au détriment du fort. Donc l’opposition, par nature bonne, contre le pouvoir, intrinsèquement oppressant. Ce faisant, on est plus dans le journalisme que dans le militantisme », explique ce journaliste aussi expérimenté que respecté.
Ça n’est pas la première fois, loin s’en faut, que RFI est pointée du doigt pour son parti pris pro-opposition, comme l’explique un professeur en science politique de l’UOB. « Jean Ping bénéficie auprès de RFI, comme dans d’autres médias occidentaux, d’une forme de mansuétude. Ceux-ci ne rappellent jamais le fait qu’il a été pendant trente ans le pilier du régime d’Ali Bongo que ces médias vouent par ailleurs aux gémonies, ou que le Jean Ping d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de 2016 au moment où il a été capable de réunir sur son nom l’ensemble de l’opposition », relève l’universitaire.
Hier, RFI a omis de noter que Ping a prononcé son discours devant une salle largement vide et qu’aucun diplomate, pourtant tous invités, n’était présent. Il faut dire que Jean Ping, isolé à l’extérieur où il a depuis longtemps été lâché par ses rares soutiens, est de plus en plus contesté dans son propre camp politique. Les autres leaders de l’opposition (Guy Nzouba-Ndama, Alexandre Barro-Chambrier…) ne le considèrent plus comme l’homme de la situation dans la perspective de la prochaine élection présidentielle de 2023. Quant à la jeune garde, elle ne manque pas une occasion de souligner son âge canonique, rappelant que dans quatre ans l’intéressé aura 81 ans.
Ces dernières semaines, Jean Ping a été lâché par certains de ces soutiens historiques. C’est le cas notamment de Jean-Norbert Diramba, le maire de Mouila , ou de Frédéric Massavala, son porte-parole. Plusieurs activistes, au sein de la diaspora gabonaise vivant en France, qui lui ont été proches par le passé, ont également pris leurs distances. C’est le cas de Laurence Ndong, Jonas Moulenda et de Messir Nah Ndong. Mais de ces éléments factuels, RFI se gardent bien de faire état.
Pour ce responsable national du PDG, le parti au pouvoir, RFI, au même titre que certains médias occidentaux, renvoie une vision déformée de la vie politique gabonaise. « Cette radio fait du discours de Ping un événement. C’est un miroir déformant. On donne l’impression que c’est important alors qu’au Gabon, cela passe largement inaperçu. Chacun des discours de Ping fait l’objet d’une large couverture de la part de RFI, bien au-delà de sa portée politique réelle sur la vie politique du pays », explique celui qui est par ailleurs député, élu dans la province de l’Estuaire, qui rappelle qu’en décembre dernier….
Un dirigeant du Rassemblement volontaire, qui a travaillé un temps dans les médias, juge également biaisée la couverture de RFI en soulevant un autre argument. « RFI ne donne qu’un seul son de cloche. Pour se dédouaner, ils avancent le fait qu’ils auraient sollicités le gouvernement et le PDG et que personne n’aurait voulu répondre. Si tant est que cela soit vrai, ce qui reste à démontrer, il aurait été facile d’insister pour trouver d’autres personnalités au sein de la majorité prêtes à s’exprimer. N’en déplaise à RFI, ils s’en trouvent quelques uns au Gabon. Ils sont même plutôt nombreux », raille, avec un art consommé de l’ironie, cet homme politique.
Perte de crédibilité
Autrefois très respectée au Gabon, RFI est de plus en plus épinglée pour sa couverture du pays. Pour cet ex-correspondant de l’AFP à Libreville, même s’il reconnait que les accusations portées à l’encontre de la radio sont parfois exagérées, il considère que les attaques dont est victime la radio ne sont pas toutes infondées. « En août dernier, il y avait déjà des relents xénophobes dans le discours de Jean Ping. Silence de RFI. Idem début septembre lorsque l’un des lieutenants de Ping a tenu des propos menaçants à l’encontre des commerçants d’origine ouest-africaine de Port-Gentil dans le contexte dramatique de la chasse aux étrangers en Afrique du sud. Silence radio. On peut que s’interroger sur un tel choix éditorial. Difficile, dans ces conditions, de rejeter en bloc l’accusation de parti pris et de mansuétude à l’endroit de Jean Ping », fait remarquer ce journaliste.
Fin août, l’accréditation du correspondant de RFI au Gabon avait été temporairement retirée pour diffusion de fausses nouvelles. Celui-ci avait affirmé dans son reportage que le président de la République ne s’était levé à aucun moment lors du défilé militaire sur le boulevard de l’Indépendance le jour de la fête nationale gabonaise le 17 août dernier. Une affirmation totalement erronée, le chef de l’Etat gabonais s’étant levé à une quinzaine de reprises comme l’a attesté les vidéos prises à cette occasion (lire notre article), qui érode la crédibilité de RFI et questionne sa neutralité.
En réalité, RFI ne fait pas exception par rapport aux autres médias français. Qu’ils diffusent en France ou à l’international, ceux-ci sont sévèrement jugés par les Français qui reprochent à leurs journalistes de se muer trop souvent en procureurs et de privilégier le commentaire (autrement dit, leur opinion) au fait. Dans dans la dernière enquête sur le sentiment de confiance des Français envers les institutions réalisée chaque année par le Centre d’études sur la vie politique française (Science Po Paris) et dont les résultats ont été publiés en septembre dernier, les médias arrivent avant-dernier du classement avec seulement 21 % d’opinion favorable. Seuls les partis politiques font pire avec 11 % seulement d’opinion favorable.
RFI ou les médias français en sont toutefois pas les seuls à se laisser parfois emporter par leurs élans. En novembre dernier, BBC Africa avait annoncé le décès d’Ali Bongo avant de se rétracter quelques heures plus tard et de s’excuser platement (lire notre article). Il y a quelques semaines, début septembre, c’était au tour de l’agence de presse Bloomberg de se fourvoyer. Celle-ci avait indiqué que l’état de santé du président Ali Bongo s’était sensiblement dégradé au point que celui-ci devait être hospitalisé. Des allégations purement fantaisistes, le chef de l’Etat gabonais étant revenu en pleine forme au Gabon quelques jours plus tard