A Son Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef de l’État « LETTRE OUVERTE »
Objet : Inquiétudes autour du transfert à la CDC des titres fonciers de l’État.
Excellence, Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat
Sous votre Haute présidence et en sa dernière session du mercredi 2 octobre 2019, le Conseil des Ministres a entériné un projet de décret portant « transfert à titre gracieux » des titres fonciers de l’Etat à la Caisse des Dépôts et de Consignation (CDC), sauf quelques exceptions.
Selon le Communiqué final ayant sanctionné lesdits travaux, cette opération viserait à « permettre à la CDC de devenir un véhicule capable de lever des fonds sur le marché aussi bien national qu’international pour le compte de l’Etat, en vue du financement des projets de développement ».
Aussi, en vertu de mes droits et devoirs constitutionnels me permettant d’exprimer, au même titre que tous mes compatriotes et en tant que de besoin, toute préoccupation liée à la vie de la nation, peu satisfait et nullement convaincu par les justificatifs officiels et quelque peu laconiques de ce transfert, me plait-il ici d’interpeller respectueusement le garant suprême des intérêts du peuple gabonais que vous êtes, notamment en vous faisant part des inquiétudes et craintes légitimes soulevées par ce projet de texte controversé.
1º) DU RESSENTI AU SEIN DE L’OPINION NATIONALE
Cette décision, aussi défendable qu’elle pourrait probablement l’être par les techniciens et responsables commis à l’élaboration de ses motifs et à sa mise en œuvre, apparaît d’ores et déjà, en tout cas au sein de la population et pour le citoyen que je suis, comme une initiative périlleuse et préjudiciable à plus d’un titre, portant en elle les germes de graves et dangereuses dérives.
Tant du point de vue de la cohésion nationale que de celui relatif à l’intégrité territoriale de notre pays, cet instrument juridique en gestation et ses effets potentiellement pervers revêtent a priori les "allures" d’une boîte de pandore explosive au contenu extrêmement nocif pour la souveraineté nationale dont la protection est, faut-il le rappeler, l’un des principes fondateurs de notre République.
En effet, sans toutefois me risquer à soupçonner le moindre caractère dolosif dans cette assez soudaine cession, ni à préjuger de la nature spécieuse ou fallacieuse des arguments éventuels visant à la promouvoir, le domaine foncier de l’État, c’est-à-dire celui de tous les Gabonaises et Gabonais sans exclusive, ne saurait à mes yeux être soumis si "lapidairement" au risque de sa mise en hypothèque partielle ou intégrale à des fins uniquement financières ou économiques, de surcroît sans consultation ni concertation préalables avec les forces vives de la nation.
2º) DU RISQUE DE VIOLATION DE LA CONSTITUTION ET DE LA SOUVERAINETÉ NATIONALE
Au demeurant, la Constitution gabonaise fixe le cadre général et primordial sur lequel se fonde l’ensemble du dispositif légal et normatif de notre pays, de même qu’elle nous oblige tous à la préservation de notre vivre-ensemble sur un espace physique réputé non morcelable et à l’intégrité strictement inviolable.
C’est en particulier ce qui ressort de son article 2, au Titre Premier qui traite de la République et de la Souveraineté, lorsqu’elle précise sans nuance aucune que la République gabonaise est "indivisible".
De même, afin que la communauté nationale et les pouvoirs publics soient au fait des sentences encourues en cas de forfaiture avérée contre, entre autres, la souveraineté nationale, l’article 7 de cette même Loi fondamentale stipule que « tout acte portant atteinte à la forme républicaine, à l’unité, à la laïcité de l’Etat, à la souveraineté et à l’indépendance, constitue un crime de haute trahison puni par la loi ».
3º) DU CONTEXTE RELATIF A LA DETTE SOUVERAINE ET SES DIFFICULTÉS D’APUREMENT
Consécutivement à la détérioration des cours internationaux du baril de pétrole et aux fautes de gestion que vous n’avez pas manqué, à maintes occasions, de dénoncer vigoureusement, le Gabon est depuis plus de cinq ans "ralenti" dans son élan par un contexte budgétaire et économique drastique, avec un service de la dette peinant à suivre un rythme soutenu et vertueux.
Dans ce sillage, le recours à un endettement extérieur supplémentaire et continu est observé avec appréhension par vos concitoyens, d’autant plus que l’encours de nos engagements en la matière s’élève désormais à environ plus de 5 mille milliards de francs CFA.
Face à cette situation inextricable à maints égards, le projet de décret querellé serait-il la solution ultime pour permettre au pays de réduire ou solder cette ardoise lourde dont les origines semblent avoir pourtant peu impacté bénéfiquement les conditions sociales difficiles du gabonais lambda ?
Je m’interroge mais ne saurais même imaginer ne fût-ce que la possibilité d’une réponse par l’affirmative à cette question. Car cela équivaudrait, ni plus ni moins, à autoriser un bradage désastreux des terres gabonaises, en violation flagrante de notre Constitution, en trahison de notre récit national et au détriment des générations futures auxquelles, vous le savez bien mieux que moi, nous devons léguer un pays digne de leurs aspirations légitimes à réaliser leurs rêves ; le tout dans un environnement prospère et propice à la fierté et l’émancipation patriotiques.
4º) EN TOUT ÉTAT DE CAUSE
Peu compréhensible par le plus grand nombre, nonobstant les aspects dogmatiques probables inhérents à la levée de boucliers grandissante déjà suscitée par son objet, ce projet de décret devrait, s’il entre définitivement en vigueur, être confronté à quelques écueils, de même qu’il recèle irrémédiablement des aléas intrinsèques et pour le moins pernicieux.
Compte tenu de cette perspective inquiétante, les préoccupations suivantes se posent déjà avec grande acuité :
- Quid du domaine foncier actuel et réel de l’Etat ?
- Le Gouvernement, via ses différentes administrations, est-il à même de faire le point sur ce domaine foncier appartenant supposément à l’Etat ?
- Qu’en est-il du risque d’accaparement de parcelles et terres en vue de densifier ledit domaine foncier étatique aux fins des levées de fonds dévolues à la CDC, dont certains pourraient être dangereusement spéculatifs ?
Autant de zones d’ombres et d’incertitudes plaidant pour l’abandon de cette réforme aux contours tout aussi obscurs.
5º) EN DÉFINITIVE
Excellence, Monsieur le Président de la République,
En m’adressant ouvertement et directement à vous, j’ai à l’esprit ce dirigeant consciencieux et profondément patriote que j’ai eu, il y a quelques années, l’honneur de servir au Gouvernement de la République, avec une abnégation totale et le souci constant d’un Gabon digne d’envie et source de fierté pour son peuple.
Malgré les tempêtes et autres obstacles divers et multiformes, en dépit de moult nuages intermittents dans le ciel de notre nation, vous avez toujours autant que faire se peut su trouver les ressources personnelles nécessaires pour essayer de mener à bien votre vision politique que vous avez très tôt qualifiée d’Avenir en Confiance.
L’épineuse problématique engendrée par la cession des titres fonciers de l’État à la CDC, organisme dont les missions premières paraissent d’ailleurs en inadéquation avec une telle faveur institutionnelle, inquiète et génère l’effroi citoyen quant aux dangereux corollaires sus-évoqués.
Sur ce sujet brûlant comme sur d’autres problèmes lancinants de ce pays, il s’avère plus qu’urgent de revitaliser la confiance prônée très tôt par vous-même, afin d’assurer à ce bel avenir espéré par tous vos compatriotes un accomplissement certain et inéluctable.
Renoncer à ce projet de décret militerait assurément, et de beaucoup, à ne pas compromettre cette issue heureuse à laquelle tant de citoyens et citoyennes croient jusqu’ici.
Si les problèmes ayant trait au foncier de l’Etat ne trouvent pas de réponses adéquates, lucides et rassurantes, ils ne peuvent que provoquer, chez le citoyen lambda, la crainte de voir son territoire mis en péril.
La superficie de l’Etat, telle que nous la connaissons, est un élément inaliénable de sa souveraineté. D’où le fait que l’immixtion dans ce domaine sensible d’acteurs ou de tiers non-nationaux, surtout ceux venus d’ailleurs ou de nulle part, soit vécu comme une sorte d’« abomination » et d’atteinte à la dignité nationale.
Ainsi, à défaut de l’abandon catégorique du décret projeté, tel que sollicité par mes soins à titre principal, une problématique aussi délicate devrait a minima faire l’objet d’un texte législatif, afin que la représentation nationale puisse s’en saisir et donner forme au débat national qui s’impose sur le sujet. L’opinion ne saurait, en effet et au regard de la gravité des enjeux, se contenter ici de la « légèreté » d’un simple décret pris en Conseil des Ministres.
Ayons tous le courage de la vérité qui ne dérange que pour construire et faire bouger les lignes, et approprions-nous l’énergie positive du regard d’espoir porté quotidiennement sur nos actes par nos enfants. Demain, nous, adultes et décideurs du présent, ne serons plus que souvenirs pour ces descendants. Soyons donc, dès aujourd’hui et maintenant, de bons et durables souvenirs futurs pour eux et ceux qui leur succéderont.
Que Dieu vous bénisse et vous comble de son infinie sagesse, avec une santé pleinement recouvrée et de mieux en mieux inaltérable.