Le renouvellement de la Cour constitutionnelle et le maintien de sa présidente obligent la classe politique, y compris les multiples coteries au sein du régime, à une analyse de fond.
Pour l’avoir déjà écrit, on peut le réécrire : quelque chose de fondamental, de déterminant pour la suite vient de se produire. Si la Cour constitutionnelle a été renouvelée au tiers, sa présidente a été reconduite (lire «Neuf ans de plus pour Mborantsuo»). Sans se départir des enseignements du passé mais loin des certitudes du présent, la classe politique, y compris les multiples coteries au sein du régime, gagnerait à s’engager dans une réflexion de fond. Sans tabou, chacun doit initier une analyse de situation. Rouage essentiel de la vie publique, la juridiction constitutionnelle apparaît comme l’assurance-vie du régime, la faiseuse de rois. Depuis bientôt 30 ans, elle est au cœur ou à l’initiative de toutes les décisions majeures : validation des présidentielles contestées de 93, 98, 2009 et 2016 (lire «Ali Bongo déclaré élu») ; mise en place des autorités de gestion des élections (lire «Le bureau exécutif du CGE en fonction») ; interprétations controversées de la Constitution et… ajout d’alinéas à certains articles (lire «Mborantsuo nie une modification de la Constitution»). Le jeu politico-institutionnel porte indubitablement sa marque.
Forces politiques opposées
Dans l’histoire du Gabon post-Conférence nationale, les cinq derniers mois ont été assez particuliers. Accusée d’avoir trituré la Constitution pour éviter de constater la vacance du pouvoir (lire «La CNR dénonce un coup d’Etat constitutionnel»), soupçonnée d’avoir voulu sauver son propre pouvoir (lire «Réponse d’Appel à agir»), la Cour constitutionnelle s’est murée dans un silence assourdissant. Certains en ont profité pour s’adonner à un activisme peu ordinaire, plaçant copains et coquins au gouvernement, dans la haute administration et à la tête d’établissements publics. Surfant sur une supposée proximité d’avec Ali Bongo, exploitant la faible disponibilité de ce dernier, ils ont avancé leurs pions. Même l’appareil sécuritaire n’a pas échappé à leur volonté : en une nuit, il a été totalement reconfiguré (lire «Les nouveaux patrons du renseignement»). Du jamais vu !
Dans ce climat électrique, une frange non négligeable de l’opinion en est arrivée à se demander si on n’assistait pas sinon à un intérim, du moins à une suppléance en dehors de tout cadre légal (lire «Une République sans président»). Nombreux, parmi les élites, s’interrogeaient sur le silence de la Cour constitutionnelle. Ils y voyaient la conséquence des appels au changement dirigés contre sa présidente (lire «Une nouvelle Cour constitutionnelle dans 90 jours»). Or, en période de crise ou de flottement, le chambardement complet n’a jamais été la solution. Pour le régime, cette hypothèse n’était nullement viable. Sauf s’il entendait se faire hara-kiri. En clair, le départ de Marie-Madeleine Mborantsuo aurait acté la fin du système conçu par Omar Bongo Ondimba. Travaillé par des forces politiques opposées, le régime aurait vu naître de nombreuses initiatives personnelles et spontanées.
Tours de passe-passe juridique
Seule une méconnaissance de l’histoire politique du Gabon peut conduire des sectateurs du régime à vilipender la Cour constitutionnelle. Seule une approximative connaissance de son rôle peut les amener à claironner leur volonté de la modifier en profondeur. Hors de toute considération idéologique, il faut restituer la vérité historique : ni la distribution d’argent, de postes ou de prébendes ni les mobilisations artificielles n’ont jamais permis au régime de l’emporter dans les urnes. Ni les supposées victoires électorales ni les nominations subséquentes n’auraient été possibles sans les tours de passe-passe juridique de la Cour constitutionnelle. Dans le pays comme à travers le monde, cette juridiction est précédée par sa réputation, pas toujours flatteuse. D’où sa grande impopularité. D’où, aussi, les critiques formulées à l’endroit de ses membres, singulièrement son inamovible présidente.
Avant de se draper des oripeaux de modernistes, les zélateurs du régime auraient été mieux inspirés de considérer les agissements de la Cour constitutionnelle au regard de leurs propres destinées. Avant de prétendre jouer sur le registre de la morale publique, ils auraient gagné à réfléchir à leur propre comportement. Marie-Madeleine Mborantsuo ayant été reconduite, ils se mettraient en posture difficile en continuant à faire comme si de rien n’était, comme s’ils n’avaient rien compris au message. Pour eux, l’heure doit être à l’examen de conscience, à la fin des déclarations incantatoires et autres rodomontades juvéniles. Pendant ce temps, l’opposition doit réfléchir à une stratégie à même de lui permettre de faire face au défi ainsi créé, tout en évitant une dispersion d’efforts ou de moyens. Mais ça, c’est une autre paire de manches…