La reconduction de Marie-Madeleine Mborantsuo constitue un tournant décisif dans les luttes d’influence à l’intérieur du régime, certaines certitudes étant subitement remises en cause.
Quand on veut prendre le contrôle d’un appareil d’Etat, il vaut mieux maîtriser les circuits juridico-administratifs. Quand on claironne son ambition de cadenasser le jeu démocratique, il faut avoir une bonne connaissance des rapports de force politico-institutionnels. Non sans brutalité et avec une certaine sobriété, la présidente de la Cour constitutionnelle vient de le rappeler. Si certains avaient cru s’en débarrasser, ils devront compter avec elle. À ses ennemis intérieurs comme à ces ennemis de l’intérieur, elle a administré une leçon, se décalant pour mieux les mystifier. Les amateurs de football auraient parlé de coup du foulard. Par des canaux détournés, elle a informé l’opinion publique du renouvellement de son bail à la tête de la juridiction constitutionnelle (lire «Neuf années de plus pour Mborantsuo»). Auparavant, elle a pris soin de faire graver cette information dans le marbre du Journal officiel, lui donnant un caractère exécutoire et irrévocable.
Subtilités de la pratique administrative
Autrefois présentée par Paul Mba Abessole comme l’«obstacle majeur au fonctionnement de la démocratie gabonaise», naguère brocardée par Pierre Mamboundou, jadis surnommée par André Mba Obame la «Tour de Pise», la Cour constitutionnelle demeurera, pour les neuf (9) prochaines années, sous le contrôle de son inamovible présidente. Contrairement aux apparences, l’opposition n’est pas la seule composante politique à devoir s’en soucier. Au-delà du premier degré, elle n’est pas la principale concernée par cette réalité. À l’intérieur du pouvoir en place, bien des certitudes peuvent être remises en cause. Tant de prétentions doivent être revues à la baisse. Certaines stratégies gagneraient à être réévaluées. À tout point de vue, la reconduction de Marie-Madeleine Mborantsuo constitue un tournant dans les luttes d’influence à l’intérieur du régime. Même si on peine encore à en mesurer la portée, elle peut donner un coup d’arrêt à certaines ambitions. Si le clair-obscur actuel a pu donner des idées à certains, une certitude s’impose dès à présent : des trajectoires pourraient être déviées et des destinées contrariées.
Loin de tout déni de réalité, il faut aller au-delà des évidences. La feinte de Marie-Madeleine Mborantsuo a été facilitée par la conjonction de deux éléments : une bonne connaissance du fonctionnement de l’appareil d’État et l’existence d’une presse libre, indépendante et trop souvent malmenée par les tenants du pouvoir. Dévorés par une ambition brûlante, grisés par une apparente réussite, de nombreux acteurs font peu de cas de ces réalités. La présidente de la Cour constitutionnelle, elle, en a fait les piliers de sa tactique. Cela lui a plutôt bien réussi. Certes, la presse publique ou gouvernementale n’a toujours pas parlé de sa reconduction. Mais, l’opinion nationale et internationale en est déjà informée. Sur ce coup-ci, la stratégie de ses ennemis de l’intérieur a brusquement fait la preuve de ses limites. Conformément au pronostic de nombreux observateurs, elle s’est enlisée dans les subtilités de la pratique administrative. N’ayant jamais tenu compte des méandres de la vie démocratique, elle s’est finalement révélée inopérante.
Leçons à tirer
Aux plans politique, juridique, institutionnel et même administratif, Marie-Madeleine Mborantsuo a donné une correction à ses ennemis intérieurs. Au moment où certains soufflaient dans la trompette de leur supposée victoire, affirmaient avoir eu sa tête, annonçaient le nom de son successeur, elle a plié sans rompre. Quand d’autres se démenaient pour verrouiller les médias publics ou proches du gouvernement, elle choisissait d’utiliser le Journal officiel. Consciente du statut et du rôle de cette publication, elle y a fait paraître les décrets de nomination. Au lieu d’entretenir des relations conflictuelles avec la presse indépendante, elle a opté pour un silence plutôt bienveillant. À la fin, elle n’a eu besoin de rien pour l’amener à rendre publique sa reconduction. Capitalisant sa longévité aux affaires, elle a su exploiter les faiblesses et l’impudence de ses adversaires. Peu importent les critiques suscitées par le renouvellement de son bail, elle vient de couper court à moult supputations, de briser bien des rêves.
De cette reconduction aux forceps, tant de leçons peuvent être tirées. Aux Rastignac de tous bords, elle rappelle une loi d’airain de la vie publique : la nécessité d’apprendre et maîtriser ses fondamentaux avant d’étaler ses rêves. Aux tenants d’une caporalisation de la presse publique ou gouvernementale, elle montre l’inanité de cette option. Aux chantres du musèlement de la presse indépendante, elle suggère une évidence : malgré leurs certitudes de circonstance, tous les acteurs politiques ou institutionnels finissent, tôt ou tard, par avoir besoin d’une presse libre. À l’évidence, tout cela rebat les cartes. Au vu des blessures occasionnées, les jours à venir pourraient réserver bien des surprises, y compris d’improbables retournements d’alliances. Chaud devant…