Au cours de l’interview qu’il a accordée à la rédaction de l’AGP, le président du Congrès des agents publics et parapublics de l’Etat (CAPPE), Emmanuel Mvé Mba, s’est prononcé, entre autres, sur les raisons de sa démarche au sujet d’un troisième dialogue national goupillé par la société civile. Réfutant l’idée d’une quelconque main invisible derrière sa démarche, il s’est également prononcer sur la ressente sortie du clergé gabonais.
Agence Gabonaise de Presse : Vous avez récemment entamé une série de consultations citoyennes auprès des leaders politiques et de la société civile pour appeler à un nouveau dialogue. Quelle est la spécificité de ce dialogue?
Emmanuel Mvé Mba : «Avant tout, je tiens d’abord à remercier votre organe de presse qui nous donne aujourd’hui l’occasion de pouvoir nous expliquer sur la démarche citoyenne de notre consultation. Nous avons en effet constaté que de 2009 à 2016, au lendemain des résultats de l’élection présidentielle, le Gabon est plongé dans une crise sans précédent. Une crise multiforme parce qu’elle englobe à la fois le domaine politique, économique, social culturel, voir moral. Ayant observé les politiques de tous bords, nous avons constaté pour le regretter que personne ne voulait réellement faire bouger les lignes pour que nous ayons l’unité tant souhaité par les pères fondateurs de notre nation. Aussi, nous avons entrepris en tant que société civile, un certain nombre de démarches auprès de nos partenaires internationaux. Nous nous sommes par exemple rendus à Genève (Suisse), là-bas nous avons tenu une réunion avec certains de nos partenaires européens qui nous ont laissé entendre que la solution du Gabon ne viendrait plus par la démocratie. Comme cela s’est fait dans certains pays amis tel que le Congo ou ailleurs, où la piste des armes avait été privilégiée. Devant une telle hypothèse, nous avons naturellement pris peur et nous avons de facto refusé cette solution pour notre pays.
De retour à Libreville, nous avons aussitôt réunis le bureau exécutif national du Congrès des agents publics et parapublics de l’Etat (CAPPE), en plus de nos partenaires. Ensemble nous avons décidé de nous jeter à l’eau en lançant une consultation citoyenne sans exclusive, notamment auprès des partis politiques de la majorité et ceux de l’opposition. Mais aussi la société civile, les organisations syndicales, les confessions religieuses et la diaspora gabonaise. Nous avons entamé ces consultations il y a aujourd’hui plus d’un mois. Au terme de celles-ci, nous allons d’ailleurs rédiger un rapport qui sera déposé entre autres à l’Organisation des Nations Unies (ONU), à l’Union Européenne (UE), à l’Union Africaine (UA), à notre chef de l’Etat, au gouvernement et aux grandes institutions. Et bien entendu, à tous les partis politiques, syndicats et ONG qui ont bien voulu nous recevoir pour qu’ensemble nous puissions décider de la conduite à tenir».
Lundi dernier, le clergé national a rencontré le Premier ministre pour demander l'application des résolutions du dialogue politique d'Angondjé tenue en 2017, alors que vous vous prônez un nouveau dialogue. Ne pensez-vous pas que votre démarche pourrait avoir du mal à aboutir?
«Nous avons l’impression que c’est le Clergé qui veut alourdir notre démarche. Il est entrain de perturber la démarche qui tend vers l’unification des fils et filles du Gabon. Nous le disons parce qu’au terme de l’élection présidentielle de 2016, Jean Ping et ses camarades avaient organisé un dialogue. Quelques mois après, la majorité, j’ai envie de dire le chef de l’Etat avait organisé son dialogue. Du coup, nous avons eu deux dialogues qui n’ont abouti à rien. Le premier ayant été organisé par des gens qui n’ont pas les manettes du pouvoir, et l’autre par le pouvoir. Ce dialogue s’est malheureusement soldé par une répartition des postes. Rien n’a réellement avancé depuis. On a plutôt l’impression que les deux dialogues ont davantage enfoncé la crise sociale que nous vivons aujourd’hui. Pour être objectif, nous pensons qu’il faut organiser un dialogue qui réunira toutes les composantes de la nation autour d’une même table pour l’honneur de notre pays. Personne ne gagnerait, personne ne perdrait. Il n’est donc pas nécessaire d’organiser de multiples dialogues, alors qu’on peut réunir les gabonais. Nous voulons, à ce sujet, profiter de votre plateforme pour féliciter celles et ceux qui nous ont déjà reçu, et qui comprennent notre démarche.
Tous tendent d’ailleurs à dire oui au dialogue, ce d’autant plus que nous n’avons pas un pays de rechange comme on le dit souvent. Seulement, nous constatons et regrettons le fait que certains partis de la majorité présidentielle soient réfractaires à cette démarche. Ils hésitent encore à nous rencontrer, alors qu’il y a quelques années encore en arrière la majorité tendait la main à l’opposition parce qu’elle ne voulait pas dialoguer. Aujourd’hui cette même opposition est prête à dialoguer, qu’est ce qui empêche les partis de la majorité de rencontrer le CAPPE pour mettre en place les mécanismes du dialogue ? Voilà notre interrogation».
Répondant à un journaliste lundi dernier, lors de sa traditionnelle conférence de presse, le porte-parole de la Présidence de la République a indiqué que la place est au dialogue pour discuter du concret et l'intérêt général des gabonais et non pas pour se partager les postes et l'argent comme cela est devenu une tradition. Le dialogue que vous souhaitez ne sera-t-il pas une énième occasion pour les hommes politiques de se partager le gâteau?
«Ce sont les hommes politiques de tous bords qui se partagent les postes. Nous sommes la société civile, nous sommes le troisième acteur. Ce que nous faisons c’est de tirer la sonnette d’alarme, nous n’avons pas des postes à gagner. Nous n’avons aucune prétention à travers cette activité hautement nationale. Nous sommes au bord de l’explosion, il nous faut donc dialoguer.
Ce que le porte-parole à la présidence dit est certainement vrai, ils se sont partagés les postes après le dialogue d’Angondjé. Nous ne voulons pas aller dans ce sens là, ce que nous voulons c’est que les fils et filles de ce pays puissent se parler autour d’une même table. Cela n’est pas impossible.
Quand nous avons commencé cette tournée, beaucoup de gabonais nous ont demandé si l’opposition devait accepter notre démarche, sur la question nous constatons avec satisfaction que l’opposition reste ouverte au dialogue, à la concertation, à l’unification du peuple gabonais. Nous ne comprenons cependant pas pourquoi certaines lourdeurs viennent du gouvernement. Nous avons l’impression qu’il y a une certaine complicité entre les confessions religieuses et le gouvernement, cela n’est pas normal. Au terme de ce processus, nous allons rencontrer le prélat africain. Si les moyens nous le permettent, nous irons au Congo, rencontrer Monseigneur Mossengo. Ce afin qu’il nous dise comment a réagi son pays lors du marasme que ce pays a connu. Nous irons également en Afrique du Sud, comprendre aussi leur expérience, en plus de celle du Sénégal. Nous souhaitons aussi rencontrer certains chefs d’Etat africains qui font la promotion de la Justice sociale et l’impartialité. Il faut que le Gabon sorte de cette situation, nous n’avons pas le pouvoir de partager les postes mais tout simplement celui de parler, et faire en sorte que les gabonais puissent se retrouver».
Comment les gens que vous rencontrez accueillent votre démarche?
«Ils la comprennent assez bien. C’est essentiellement pour cette raison qu’ils nous reçoivent, ils nous ouvrent les portes car ils comprennent bien que quand sa vient de la société civile, l’approche est assez crédible. Aux autres qui sont entrain de vouloir perturber notre action qui a un caractère citoyen, nous leur demandons de nous laisser un peu tranquille car nous ne revendiquons rien. Quand nous aurons terminé notre travail, ils pourront rester à se partager les postes. Ce n’est pas notre ambition».
Avez-vous déjà pris rendez-vous avec le camp du pouvoir?
«Nous avons à ce sujet déposé des correspondances à l’ensemble des parties politiques de la majorité et de l’opposition. Jusqu'à ce jour, nous n’avons pas de réponse venant du Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir). Ni du Rassemblement pour la restauration des valeurs (RV), de l’Association des jeunes émergents volontaires (AJEV), des Sociaux démocrates gabonais (SDG). Le seul parti de la majorité qui nous a reçus c’est le Centre des Libéraux Réformateurs (CLR), qui a donné son accord pour le dialogue. Nous avons fait des relances, mais sans suite. La majorité trouve-t-elle son compte dans cette crise ? Si tel n’est pas le cas, qu’elle nous reçoive et qu’on discute. Ce d’autant plus qu’il s’agit des problèmes du Gabon qui ne peuvent être traités qu’entre gabonais».
Beaucoup estiment qu'une main invisible serait derrière vous. D'autres disent que vous auriez des ambitions politiques. Que répondez-vous?
«(Rire) je suis conseiller économique et social depuis trois mandats déjà. Là-bas je représente la société civile. Je suis par ailleurs président de l’union des services publics assimilés d’Afrique francophone. Je représente l’Afrique francophone à l’international. Je ne vois pas qui serait derrière moi pour engager cette démarche, si c’était le cas, alors cette personne veut que le pays change. Que l’unité entre tous les fils du Gabon soit retrouvée. Toutefois, je m’inscris en faux par rapport à cet argumentaire. Nous n’avons personne derrière nous, d’ailleurs nous peinons financièrement à mettre correctement en œuvre tous les aspects liés à notre démarche. Chaque matin, je demande par exemple à chaque membre du CAPPE de cotiser pour les missions. Nous menons cette mission depuis plus deux mois et ça pèse. Ce que nous pouvons demander au gouvernement, c’est de pouvoir encadrer et appuyer cette mission parce qu’au terme de celle-ci, si les gabonais sont unis, ils vont rester à se partager leurs postes comme d’habitude. Mais nous nous allons sortir de là parce que nous n’avons aucune ambition politique. Nous sommes tous des pères et des mères de famille. Et quand certains enverront leurs enfants à l’étranger en cas de crise, nous, nous resterons ici au pays avec nos familles. D’où la nécessité pour nous d’engager ces démarches car n’ayant pas de soutient, ni des moyens pour fuir à l’étranger comme certains si jamais ça éclate».
Avez-vous un dernier mot ?
«Je profite à nouveau de cette occasion que vous m’offrez pour rassurer les uns et les autres de ce que nous n’avons aucune main invisible derrière nous. Notre démarche reste républicaine. Je voudrais également demander aux tenants du pouvoir, tant de la majorité que de l’opposition, de bien vouloir appuyer notre démarche. Nous irons jusqu’au bout de notre mission, quand bien même nous n’avons pas la prétention de dire que nous allons forcement réussir.
Nous souhaitons que le chef de l’Etat prenne une loi d’amnistie générale, comme il l’a d’ailleurs fait le 16 août dernier au sujet des prisonniers. Que cette loi d’amnistie mettent en confiance tous les gabonais et permette à ceux des nôtres qui sont en exil de rentrer chez eux. Nous souhaitons également qu’après cette étape, une commission de réconciliation et vérité soit mise en place. Nous pensons à ce sujet que le prélat international ou les autorités politiques internationales peuvent diriger cette commission parce que n’appartenant à aucun bord politique».