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Suspension de Paulette Ayo Mba Akolly : La justice en eaux troubles
Publié le jeudi 22 aout 2019  |  Gabon Review
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© Autre presse par DR
Le palais de justice de Libreville
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Pour avoir refusé de se plier à l’ordonnance de sursis à statuer délivrée par le premier président de la Cour de cassation, le premier président de la cour d’appel de Libreville a été suspendu par… le secrétaire général de Chancellerie. Inédit et surréaliste !

Malgré son caractère surréaliste, cette décision n’a pas surpris grand monde. Comme si on voulait l’empêcher de présider l’audience du 26 août prochain (lire «Ali Bongo débouté en Cour d’appel» ), le premier président de la cour d’appel de Libreville a été suspendu de ses fonctions. Pris par le secrétaire général de la Chancellerie, l’acte lui a été notifié le 20 du mois courant par un huissier de justice (lire «Paulette Ayo Akolly suspendue»). En clair, le premier responsable de l’administration du ministère de la Justice a utilisé les services d’un officier ministériel pour s’adresser à un magistrat. Autrement dit, l’administration s’est arrogé le droit de suspendre un juge du siège, violant ainsi les principes d’inamovibilité et d’indépendance. Au-delà, elle a supplanté le Conseil supérieur de la magistrature, se risquant à statuer sur des questions relevant du fonctionnement de la justice.

Spécificité des juges du siège

Manifestement déterminé à faire rendre gorge à Paulette Ayo Mba Akolly, François Mangari ne s’est embarrassé ni de forme ni de scrupule. Comme l’avait annoncé Aimery Bhongo Mavoungou, il a laissé le sentiment d’être prêt à tout pour «empêcher» la tenue de l’audience du 26 août prochain (lire «Les avocats d’Ali Bongo déterminés à empêcher le procès»). Reste à savoir si les conséquences de son acte se limitent à cette seule audience ou si elles touchent à la crédibilité et à la «bonne administration» de la justice. Reste aussi à comprendre pourquoi le président de la Cour de cassation s’est subitement laissé déborder par l’administration. Reste, enfin, à attendre la réaction des magistrats, subitement ravalés au statut de fonctionnaires ordinaires, soumis à l’autorité de l’administration centrale.

Peu importent les raisons avancées, on peine encore à imaginer comment l’appareil judiciaire se sortira de cette situation. On peine également à envisager comment elle reconstruira sa cohésion, redorera son blason et retrouvera son autorité morale. Déjà, de nombreux observateurs y vont de leurs commentaires, toujours plus caustiques. S’appuyant sur les dispositions de la Constitution, ils épiloguent sur la séparation des pouvoirs. Se fondant sur la loi n° 8/94 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, ils reviennent sur les compétences en matière disciplinaire. Se basant sur la loi n° 12/94 portant statut des magistrats, ils dissertent sur la spécificité des juges du siège et le statut des chefs de juridiction. Malgré les divergences d’approche ou les considérations partisanes, leur sentence demeure la même : ni le ministre ni le secrétaire général du ministère de la Justice n’ont juridiquement le pouvoir de suspendre un juge du siège. Surtout pas un premier président de Cour d’appel.

Défiance généralisée

Au demeurant, la religion d’une frange non négligeable de l’opinion semble faite : la suspension de Paulette Ayo Mba Akolly est «politique» et «juridiquement inopérante». Certains ont beau se réfugier derrière le statut juridictionnel du président de la République, leur volonté de déplacer le débat témoigne d’une certaine gêne, si ce n’est d’une difficulté à le soutenir juridiquement. D’autres ont beau raviver le souvenir de l’ordonnance de sursis à statuer délivré par le premier président de la Cour de cassation, leur propension à élargir le champ atteste d’un désir de noyer le poisson. De même, le parallèle systématique avec le procès relatif à l’état-civil d’Ali Bongo traduit la forte politisation de la question. Si tout le monde s’accorde sur le caractère inédit de la situation, personne ne se prononce sur le sort de l’audience en elle-même. Comme si sa tenue était intimement liée à l’identité du magistrat. Comme si Paulette Ayo Mba Akolly avait pris cette décision en son nom propre. Pourtant, la suspension du premier président de la cour d’appel de Libreville n’entraîne pas la suspension de l’audience.

En déboutant les avocats d’Ali Bongo de leurs prétentions, le premier président de la cour d’appel de Libreville avait non seulement affirmé l’indépendance des juridictions, mais aussi la liberté du juge. Une éventuelle annulation de l’audience équivaudrait à une négation de ces deux principes essentiels dans le fonctionnement de la justice. A contrario, si l’audience venait à se tenir, l’idée d’une vendetta personnalisée ferait alors son chemin. Dans l’un ou l’autre des cas, l’appareil judiciaire semble condamné à naviguer en eaux troubles. Or, le discrédit de la justice ouvre toujours la voie à une délégitimation des institutions et de l’appareil d’Etat. Face à une telle perspective, nul n’a vraiment des raisons de pavoiser.
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