Le refus de la présidente de la cour d’appel de Libreville d’exécuter le sursis à statuer est une rebuffade contre les pratiques de la Cour de cassation et les agissements de certains avocats.
Deux fois successivement, la présidente de la cour d’appel de Libreville a publiquement marqué son rejet de certaines pratiques. Le 29 juillet dernier, elle s’était étonnée de la notification, par voie d’huissier, d’une ordonnance de sursis à exécution délivrée par le premier président de la Cour de cassation. «Du jamais vu en 31 ans de carrière», s’était-elle écriée. Le 12 août courant, elle n’y est pas allée avec le dos de la cuillère : rejetant la requête des avocats d’Ali Bongo, elle a qualifié leur manœuvre de «pure malice», avant de la juger «contraire à la loi» (lire «Ali Bongo débouté en cour d’appel»). Venant d’une personnalité réputée proche du pouvoir politique et même du président de la République (lire «De quoi Paulette Ayo est-elle le nom ?»), cette attitude étonne et détonne.
Alliés de circonstance
Paulette Ayo Akolly en a forcément conscience : son comportement déroute et intrigue. Quelques années en arrière, elle avait pris une part active dans la polémique sur l’état-civil et, partant, l’éligibilité d’Ali Bongo. À cette époque-là, elle avait plutôt brillé par un zèle à nul autre pareil, au risque d’entacher sa crédibilité. Intervenant à la télévision publique, le 04 novembre 2014, au plus fort de la querelle née de la parution du brûlot de Pierre Péan “Nouvelles affaires africaines – Mensonges et pillages au Gabon“, elle avait livré un témoignage contraire aux thèses du journaliste-écrivain français (lire «Affaire Péan : Que d’agitation»). Promue à la tête de la cour d’appel de Libreville en juin 2016, elle en rajouta une couche. Malgré l’insistance des plaignants, elle balaya d’un revers de main toutes les requêtes en récusation (lire «Ayo Akolly rejette sa récusation et les insinuations sur son amitié avec Ali Bongo» ), avant de débouter les requérants puis de leur enjoindre de payer les frais de procédure engagés par Ali Bongo (lire «Moukagni-Iwangou, Bengono Nsi et Ngoulakia, condamnés aux dépens».
Se remémorant cette succession de faits, de nombreux observateurs avaient jugé la démarche du collectif «Appel à agir» vaine. Ainsi, la décision du 12 août courant peut être comprise comme une rebuffade. D’abord à l’endroit du premier président de la Cour de cassation. Sans entrer dans les subtilités de la procédure, on peut se demander s’il avait vraiment intérêt à saisir sa collègue par le truchement d’un officier ministériel. Sans chercher à savoir si une ordonnance de fixation est un acte d’administration judiciaire ou une décision juridictionnelle, on peut se demander si son intervention n’en a pas rajouté au climat de suspicion, compliquant par la même la compréhension des débats. Sans épiloguer sur l’étendue de son champ de compétences, on peut se demander s’il n’aurait pas gagné à laisser filer les choses. Après tout, au terme du procès, un pourvoi en cassation était toujours possible. Pourquoi ne l’a-t-il pas conseillé à ses alliés de circonstance ?
Un acte d’affirmation
Rebuffade vis-à-vis des avocats d’Ali Bongo, ensuite. Faisant une lecture bien à eux de l’article 78 de la Constitution, arguant du privilège de juridiction attaché à la fonction de président de la République, ils ont saisi la Cour de cassation. Comme si cela ne suffisait pas, ils se sont épanchés chez nos confrères de L’Union. A mots à peine voilés, ils ont accusé la présidente de la cour d’appel de Libreville de fomenter un complot contre le pouvoir en place : «Par (sa) décision (…) le premier président de la Cour de cassation a stoppé net une insurrection institutionnelle, pis, un coup d’Etat constitutionnel «, avait tranché un Aimery Bhongo Mavoungou, manifestement certain de son coup. Rien de moins…
Eu égard au rang hiérarchique de Jean-Jacques Oyono, au vu de la rhétorique guerrière de Tony Minko-mi-Ndong et Aimery Bhongo Mavoungou, Paulette Ayo Akolly est visiblement parvenue à une conclusion : au sein du pouvoir en place, elle n’est plus en odeur de sainteté. Au-delà, elle a laissé le sentiment d’avoir perçu un complot contre sa personne ou, tout au moins, une volonté d’affaiblir son autorité voire de l’humilier publiquement. À l’évidence, cette perspective l’a poussée à passer à la contre-offensive. Sa rebuffade est sinon un acte d’affirmation de sa personnalité, du moins un baroud d’honneur. En demandant à Ali Bongo de se présenter à la barre le 26 août prochain, elle a souligné l’inefficacité de la stratégie de ses avocats. Par la même occasion, elle a affirmé son indépendance, proclamant aussi son refus de se soumettre au diktat d’un de ses collègues. Si certains avaient cru servir les intérêts du président de la République, elle les a mis en délicatesse avec lui. D’une certaine manière, elle leur a rendu la monnaie de leur pièce. Comme une réponse du berger à la bergère…