Derrière les échanges sur l’état de santé d’Ali Bongo, l’audience de ce lundi 15 juillet se penchera sur le fonctionnement régulier de l’appareil d’Etat.
Si chacun y joue sa partition, cette audience fera date. Le collectif «Appel à agir» est convoqué, ce lundi 15 juillet, devant la cour d’appel de Libreville. Derrière les échanges sur l’état de santé d’Ali Bongo, au-delà de la polémique sur sa capacité à remplir les devoirs de sa charge, l’équilibre institutionnel sera à l’épreuve. Usant et abusant de ses prérogatives, la justice a fortement influencé la marche du pays ces dernières années. Depuis l’accident de Riyad, elle a orienté le débat politique, pesant comme jamais sur la vie publique. La décision n° 219/CC du 14 novembre 2018 relative à l’interprétation des articles 13 et 16 de la Constitution est, sur ce point, l’élément-fondateur. À travers elle, la Cour constitutionnelle a usurpé les pouvoirs du constituant tout en modifiant les compétences des institutions : ajout d’un alinéa et création d’une saisine circonstancielle au bénéfice du Premier ministre ou d’un dixième des membres du gouvernement (lire «Mborantsuo seule aux commandes»). Quelque part, la situation politico-institutionnelle actuelle est la résultante de cette décision.
Déficit d’informations officielles
Surfant sur les imprécisions nées de l’introduction de la notion d’«indisponibilité temporaire», certaines forces en ont profité pour avancer leurs pions, brouillant au passage le jeu institutionnel. A contrario, leurs adversaires ont tout essayé pour recentrer le débat sur la «vacance du pouvoir» et l’«empêchement définitif», seules notions contenues dans la Constitution. Sur le fondement des dispositions en vigueur, ils ont demandé au juge des référés de diligenter une expertise médicale (lire «Le groupe des 10 saisit le tribunal de Libreville»). Malgré le rejet de leur plainte (lire «A la gloire des puissants»), ils ont choisi d’interjeter appel, plaçant la justice face à ses responsabilités. Dans cette ambiance électrique, faites de doutes et d’incertitudes, les supputations vont crescendo.
Depuis quelques jours, les tenants du pouvoir haussent le ton, au lieu d’élever le niveau du débat. Rejetant à l’avance toute idée de vacance de la présidence de la République ( Lire «Pour Nkoghé Békalé il n’ y aura pas vacance du pouvoir»), ils glosent sur l’«intime conviction» de Dynamique unitaire (lire «Ali Bongo est mort, il n’existe plus»). Là où on attend d’eux flegme et pédagogie, ils bandent les muscles, menaçant les uns et embastillant les autres (lire «Enlèvements signalés»). Comme s’ils voulaient absolument déplacer le débat sur le terrain de l’ordre public. Comme s’ils étaient mal à l’aise avec les développements juridiques. Comme si les conséquences politiques et institutionnelles de la situation actuelle leur importaient peu. Or, ni le déficit d’informations sur l’état de santé du président de la République ni la querelle sur la valeur juridique de la notion d’«indisponibilité temporaire» ne trouveront des solutions dans le musèlement ou la répression.
Tout se construit et s’entretient
Au demeurant, l’audience de ce lundi peut aider à recentrer les débats : sur l’interprétation ou la mise en œuvre de l’article 13 de la Constitution comme sur le fonctionnement des institutions, tant de choses restent à clarifier. La décision n° 219/CC ayant balisé le chemin à une sorte de «télé-présidence» voire à une gouvernance par procuration, les risques d’usurpation de pouvoir sont désormais réels avec, à la clé, une insécurité juridique grandissante. Sans jouer les Cassandre, tout se passe désormais comme si l’ordonnancement institutionnel prévu par la Constitution avait vécu, comme si notre pays était engagé dans un processus à l’issue prévisible : délégitimation des institutions, dégradation continue des services publics, violation systématique des droits fondamentaux, omnipotence de l’appareil sécuritaire et apparition de bandes rivales au sommet de l’État. En relations internationales, ces symptômes-là signalent toujours un État failli ou déliquescent. Est-ce bien le dessein de certains pour le Gabon ? On n’ose le croire !
Certains crieront à l’alarmisme. Mais, dans la vie des États, rien n’est acquis. Tout se construit et s’entretient. Arbitre du «fonctionnement régulier des pouvoirs publics», garant de «l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respect des accords et traités», le président de la République «détermine la politique de la nation». Seul et unique «détenteur suprême du pouvoir exécutif», il assure aussi la «continuité de l’Etat». Au vu de leur sensibilité, ses missions ne peuvent être déléguées indéfiniment. D’où la requête du collectif «Appel à agir». Au-delà des considérations personnelles ou partisanes, la demande d’expertise médicale vise à prévenir les dysfonctionnements institutionnels, danger mortel pour tout État. Autrement dit, l’enjeu c’est le respect de l’ordre constitutionnel. Et rien d’autre. Face à l’évidente crise institutionnelle actuelle, la cour d’appel de Libreville doit avoir le courage d’exiger la vérité sur l’état de santé d’Ali Bongo. Sauf à se complaire dans le mystère ou à se faire la complice passive d’un dangereux glissement vers l’inconnu.