Sur des différends internes, le Gabon dépense chaque année «environ 8 milliards de francs CFA pour le paiement des dommages-intérêts suite à la perte de procès», indiquait, en avril 2011, Emmanuel Issozé Ngondet alors ministre du Budget et des Comptes publics. À l’international, ces amendes prennent des proportions hyperboliques (7,215 milliards de francs CFA pour le seul Frédéric Béranger, 65 milliards pour Webcor). Avec le cas de Djibouti, qui doit payer 385 millions de dollars d’indemnisation à Dubaï Port World, on est face à une nouvelle manière d’exploiter mais surtout de ruiner les économies pauvres des pays africains. Regard furtif sur des méthodes lucratives malsaines d’un genre nouveau. Elles frappent le Gabon sans vergogne.
On a connu les fonds vautours qui, comme l’évoque leur nom, sont des capitalistes charognards prêts à tout pour dévorer un pays ou une entreprise en difficulté financière critique. Ils achètent, à prix bradés, des titres de la dette souveraine des États, avant de recourir à des tribunaux internationaux pour récupérer un maximum d’argent, entre 20% et 30% de la valeur de départ. Les fonds vautours peuvent aller se rhabiller. Place aux entreprises vampires dont le jeu est beaucoup plus vicieux et calamiteux.
KCI Groupe recourt au «financement de procès»
Au regard de l’expérience gabonaise avec KCI Groupe et plus récemment avec Webcor, les entreprises vampires fonctionnent différemment, en effet. Elles entrent en négociation avec des États ou collectivités à faibles moyens et les allèchent avec des promesses d’investissement quant aux concessions de marchés publics. Une fois l’engrenage lancé, elles se trouvent des complicités dans les administrations des pays proies pour obtenir la signature de contrats léonins. Moment clé du procédé, elles s’activent à entraver le déroulement de l’affaire pour la faire capoter au moindre couac, puis à tout faire pour la porter devant la justice internationale et faire ainsi payer très cher à ces États en développement en les menaçant de saisir leurs biens à l’étranger.
Il en a ainsi été de KCI Groupe dont le promoteur, Fréderic Bérenger, exige du Gabon 7,215 milliards de francs CFA, validés en 2016 par la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de la Haye. Son appât : un projet de création et d’aménagement d’une ville de 5000 logements à Nkoltang. En mai 2012 au moment de son paroxysme médiatique, le projet n’en était qu’à la phase de remblais. Soutenu par Calunius Capital, une société britannique «spécialisée dans le financement de procès», le promoteur de KCI Groupe demandait, l’année dernière, la vente aux enchères du Pozzo Di Borgo, l’hôtel particulier acquis en 2010 par le Gabon pour 65 milliards de francs CFA.
Le cas Webcor
Autre cas emblématique : Webcor. Pour un marché non construit, la justice internationale condamne un pays africain, en l’occurrence le Gabon, à payer 65 milliards de francs CFA ! Sans affiliation ni lien quelconque avec Webcor Builders, célèbre société américaine de construction commerciale, la société Webcor ITP Limited est plutôt une filiale créée à Malte et sans activité connue. Elle joue sur l’amalgame avec une autre société presque homonyme, Webcor Group. Le 12 juin 2010, Webcor ITP Limited signe un contrat cadre pour la construction et l’exploitation du Grand Marché de Libreville, un marché couvert et moderne prévu sur le terrain des anciens Jardins de La Peyrie. Pour les besoins de ce chantier, une société locale fut créée, au nom de Grand Marché de Libreville.
L’entreprise «Grand Marché de Libreville obtient ensuite, le 16 novembre 2012, une convention fiscale la dédouanant et détaxant de la quasi-totalité de ses transactions d’achat durant la période des travaux», raconte une source proche du dossier. Mais cette convention fiscale est, par la suite, dénoncée pour n’avoir pas été ratifiée par le Parlement. Quatre (4) ans s’étaient tout de même écoulés entre la signature du premier contrat de juin 2010 et le démarrage des travaux, consistant essentiellement au déblaiement du terrain destiné à la construction. Arrive, en mai 2015, un différend consécutif à l’impossibilité d’appliquer les exonérations non entérinées par le Parlement. «Du fait d’un non-respect des clauses contractuelles préalables au contrat, la Mairie de Libreville demande à Webcor d’arrêter les travaux», explique la source sus citée. La suite est connue : pour un début de travaux littéralement imperceptibles aux Jardins de La Peyrie mais «estimés à 3 milliards de francs CFA», selon Jean François Ntoutoume Emane l’ancien maire de Libreville, Webcor veut s’en tirer avec 65 milliards de francs CFA au titre de dommages et intérêts… soit deux fois plus que le coût du projet, initialement évalué à 27 milliards. Si ce n’est pas de la mauvaise foi, on s’en rapproche étrangement. Si ce n’est pas de l’arnaque, ça y ressemble fort.
385 millions de dollars à Djibouti
De par le tiers-monde, Webcor n’est pas un cas isolé si l’on se réfère notamment à celui de Djibouti avec Dubaï Port World (DP World), société qui exploitait le terminal portuaire de ce pays depuis 2008 via la société Doraleh Container Terminal (DCT). Forts d’une loi adoptée par leur Parlement en octobre 2017 autorisant les autorités djiboutiennes à revoir, de manière unilatérale, les contrats publics liés à la réalisation des grandes infrastructures, les pouvoirs publics djiboutiens ont décidé de mettre un terme au contrat de concession signé en 2006. Auparavant, ils soupçonnaient les Dubaïotes d’avoir versé plusieurs millions de dollars de commissions occultes au président de l’Autorité des ports et zones franches de 2003 à 2008. Par ailleurs accusé de fraude fiscale et de détournement de fonds publics, ce haut fonctionnaire djiboutien s’est exilé à Dubaï, qui rejette les demandes d’extradition émises par Djibouti.
Résultats des courses : saisie par l’émirat, la Cour d’arbitrage international de Londres a rendu son verdict selon lequel l’État de Djibouti doit payer 385 millions de dollars (près de 224 milliards de francs CFA) d’indemnisation à Dubaï Port World, l’exploitant portuaire.
Si, en principe, le droit s’inspire des valeurs de la morale, ce n’est visiblement pas toujours le cas dans les tribunaux internationaux de commerce. «La justice internationale devrait évoluer pour permettre d’invalider des contrats avec des entités publiques qui disposeraient de clauses léonines. Il s’agit d’un sujet majeur pour le développement de l’Afrique qui est négligé autorités africaines et occidentales», estime un avocat d’affaires gabonais. La justice ne saurait en effet devenir un outil d’enrichissement facile. La récolte financière escomptée par Webcor, également soupçonnée de corruption d’agents gabonais, est résolument abasourdissante : 65 milliards pour des travaux de remblais abusivement estimés à 3 milliards de francs CFA. Un gain époustouflant, trop facilement gagné.
En tout cas, de nombreux cas similaires de condamnations d’États du tiers-monde par des entreprises vampires peuvent être mis en relief pour démonter que ce phénomène nouveau est large, problématique et déplorable.