De passage à Libreville après plusieurs années loin de son pays, le philosophe gabonais Bonaventure Mvé Ondo propose, à la faveur de cette interview accordée à Gabonreview, l’application de la Civocratie comme solution à la refonte du système éducatif en particulier et aux maux qui minent le Gabon en général.
Gabonreview : Qui est Bonaventure Mvé Ondo ?
Bonaventure Mvé Ondo : Je suis professeur de philosophie à l’UOB et spécialisé sur l’oralité, les politiques scientifiques et les questions de gouvernance. Après avoir été notamment doyen de la faculté des lettres et sciences humaines et ensuite recteur de la même université, au début des années 90, j’ai assuré pendant 12 ans les fonctions de directeur du bureau régional de l’Afrique de l’Ouest à l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) et pendant 8 ans celles de vice-recteur de l’AUF. C’est ainsi que je suis devenu expert mondial sur les questions de l’Éducation. J’ai enfin écrit et publié plusieurs ouvrages dont, entre autres, «Sagesse et initiation à travers les contes, mythes et légendes fang», «Afrique, la fracture scientifique», «A chacun sa raison. Raison occidentale et raison africaine», «Introduction à la gouvernance des universités».
Pourquoi ce retour au pays natal après plusieurs années au service de l’Education à l’extérieur ?
Bonaventure Mvé Ondo : Après de merveilleuses années et de projets montés et créés par exemple : l’Institut panafricain de la gouvernance universitaire devenu aujourd’hui l’Institut de la francophonie pour la gouvernance universitaire qui est basé à Yaoundé, mais aussi les Campus numériques francophones dans tous les pays d’Afrique ou les Pôles d’excellence régionaux comme l’École doctorale régionale de Franceville ou encore le Forum mondial de l’éducation (WISE) au Qatar, j’ai été admis depuis quelques années à la retraite dans mes fonctions de vice-recteur de l’AUF et à reprendre mes activités pédagogiques et scientifiques au service de l’enseignement supérieur et de la recherche. Donc je suis toujours en activité. On n’arrête jamais d’apprendre à apprendre et de transmettre… Au-delà de mes enseignements, mes contributions les plus importantes portent aujourd’hui sur les appuis divers et multiformes aux autorités universitaires, c’est-à-dire aux doyens, recteurs et gouvernants, notamment à la mise en place de tous les outils de gouvernance par exemple les Manuels de procédures. J’enseigne aussi dans nombre d’institutions universitaires africaines pour le compte de l’Université Senghor à Conakry, à Saint-Louis au Sénégal, mais aussi à Ouagadougou et à Abidjan. J’apporte aussi mon expertise à l’élaboration et la coordination de grands projets éducatifs dans nombre de nos pays et enfin, je continue à participer à des conférences scientifiques comme celles qui se tiennent ces semaines-ci dans notre pays.
Vos activités principales s’effectuent à l’extérieur du Gabon. Vous arrive-t-il de réfléchir aux problématiques éducationnelles de notre pays et si oui, que pensez-vous des dernières controverses dans ce secteur?
Je suis un enseignant et un philosophe. J’essaie toujours de penser le monde, l’Afrique et, bien entendu, mon pays, le Gabon. J’essaie toujours de me tenir informé naturellement de l’actualité de notre pays. J’ai déjà, à travers plusieurs publications et ouvrages, évoqué les problèmes du nécessaire changement de paradigme dans le traitement des maux qui minent depuis fort longtemps notre système éducatif. Mais il convient peut-être de commencer par s’interroger sur les finalités et les orientations dès l’origine de ce système éducatif national. Vous le savez, notre système, comme dans beaucoup de pays africains, n’a pas de visée vraiment nationale et est toujours extérocentré. C’est-à-dire qu’il fonctionne toujours pour fabriquer les auxiliaires de l’administration et non les futurs acteurs de l’économie. La conséquence de tout cela est l’incapacité de nos systèmes éducatifs à muter radicalement. Tout cela explique bien aussi le difficile débat entre les différents acteurs de l’éducation que sont les enseignants, les élèves, les parents d’élèves, les syndicats et nos États. Mais cela ne peut être possible que si une co-construction d’un véritable projet éducatif commun est engagée.
Je crois véritablement que les enseignants, les chercheurs, les intellectuels comme les élèves, les parents et les gouvernants doivent commencer par déconstruire notre système actuel, en faire l’évaluation et enfin sur sa finalité. Et ce sera après cela que l’on pourra rechercher les solutions les plus efficientes, les plus adaptées et les plus pérennes pour juguler ensemble les crises.
Au Gabon, le problème n’est pas la bourse. D’ailleurs, comme la très grande majorité des hauts fonctionnaires gabonais, je suis un pur produit de la bourse gabonaise depuis la classe de 6e et je crois d’ailleurs ne pas m’en être trop mal sorti. Vous le savez, quand tous les élèves d’une classe sont mauvais, le mal ne vient pas d’eux, mais peut-être d’abord et surtout de la chaine pédagogique. La jeunesse est ici victime d’un système qu’il importe d’urgemment de refonder.
Pensez-vous avoir des solutions ?
Mon travail a été depuis bien longtemps notamment à l’AUF d’aider les institutionnels africains et mondiaux à trouver des pistes de solutions dans mes domaines d’expertise pour nous sortir de ces crises récurrentes. À propos par exemple de la controverse sur la bourse, en 1992 alors que j’étais recteur de l’UOB, j’avais participé à la rédaction avec quelques collègues africains, d’un livre intitulé : «Dix mesures pour sauver l’université africaine». Devant un système universitaire où plus de 90% du budget portait sur le social étudiant, j’avais proposé de supprimer la bourse et d’inventer d’autres types d’allocations plus responsables pour que le système universitaire puisse retrouver une dynamique vertueuse. Il me semble que ce débat n’a pas encore vraiment eu lieu chez nous… Ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est désormais de participer plus concrètement à résoudre quelques-uns des problèmes que secrète notre nouvelle société. J’aimerais vous entretenir sur mon projet de créer à Akanda un Centre de réinsertion sociale pour les jeunes exclus.
Qu’entendez-vous par Centre de réinsertion sociale ?
Comme vous le savez, dans notre pays, l’enfant était considéré comme un trésor, comme un investissement par les parents et par l’État. C’est pour cela qu’une politique d’aide à l’éducation et à la formation avec des bourses, mais aussi avec la valorisation des enseignants et la modernisation des espaces pédagogiques avaient été engagés depuis les indépendances. Aujourd’hui, non seulement l’école fabrique de futurs chômeurs, mais encore près d’un jeune sur 5 sort de ce système sans aucune formation, sans aucun diplôme. L’avenir qui est donné à ces jeunes, c’est la délinquance, la prostitution et peut-être la prison. Mon projet, c’est de redonner à cette jeunesse déscolarisée, l’occasion de se reconstruire de manière positive à travers un processus d’éducation globale plus orientée, puis de formation en alternance aux métiers manuels et aux nouveaux métiers du numérique et de l’environnement.
Ce projet, n’est-il pas coûteux ? Car si certains ont voulu définir de nouvelles conditions d’attribution des bourses, c’était peut-être parce qu’il n’y avait plus assez d’argent ?
Le projet de création d’un Centre de réinsertion sociale que j’ai déposé à la municipalité d’Akanda ne coûterait rien à cette municipalité. Je leur ai juste demandé de fournir un terrain pour le projet. Comme vous le savez, j’ai eu pendant de nombreuses années pour principale activité de rechercher des fonds dans le monde entier et d’établir des partenariats au profit de l’enseignement supérieur en Afrique et dans l’espace francophone. C’est cette expérience sur laquelle je veux m’appuyer pour essayer de faire évoluer les choses.
Et où en êtes-vous avec ce projet ?
Disons que je n’ai pas encore eu des suites de la part de la mairie de cette ville. Je suppose que les autorités de cette Mairie sont en train de gérer les urgences. J’espère les rencontrer dans quelques jours si tant est qu’un Centre de réinsertion sociale pour les jeunes les intéresse. Ce dont d’ailleurs, je ne doute pas.
Et que pensez-vous du climat social et politique du pays ?
Je constate qu’aujourd’hui toutes les parties ont la même analyse d’une situation sociale compliquée et que les divergences se situent au niveau des propositions de solutions. Peut-être faut-il changer d’échelle, en traitant des problèmes plus concrets ! Peut-être faut-il aussi arrêter de vouloir trouver des solutions globales ! Dans tous les cas, je crois qu’un véritable dialogue doit être engagé, un dialogue franc et ouvert et où l’on puisse sortir de la langue de bois et réécrire ensemble les dix commandements de la nécessaire refondation de l’éducation.
Qu’entendez-vous par les dix commandements de la nécessaire refondation de l’éducation ?
Pour alléger les tâches des enseignants, il existe des solutions scientifiques et technologiques. Pour mieux encadrer les élèves et les étudiants aussi. Je suis conscient, bien sûr que cela ne suffit pas. Il est urgent de responsabiliser tous les acteurs et de les inviter à une démarche citoyenne. J’ai écrit il y a quelques mois des articles sur l’optimisation de la bonne gouvernance par l’intelligence collective populaire et les NTIC. Comment relancer les relations entre les gouvernants et la société ? Comment sortir du qui perd gagne actuel ? Il me semble que le numérique peut aider les gouvernants à construire ce dialogue et à esquisser une sorte de démocratie participative pour aider à trouver des solutions collectives. C’est cela la Civocratie. Pour tout dire, c’est une sorte de grand sondage national au moyen d’une application numérique dédiée ; les plateformes numériques participatives et diffusées par la téléphonie mobile.
Plusieurs pays et de nombreuses grandes villes du monde, telles que la Nouvelle-Zélande, les pays d’Europe du Nord, New York, Lyon et même très récemment Abidjan utilisent désormais ou réfléchissent à développer ces processus de discussions numériques pour comprendre les attentes réelles des populations. On parle de «Tech for good»; la technologie qui œuvre pour le bien commun.
D’ailleurs, la mise en œuvre récemment du Grand débat national en France est le fruit d’une forme choisie de démocratie participative optimisée à l’aide des NTIC. Je crois qu’il existe une solution à la crise de l’éducation au Gabon, c’est d’instaurer la «Civocratie». On peut dans toutes nos langues nationales développer des échanges fructueux avec les populations au moyen de ces plateformes numériques participatives et enfin avancer. Aucun élève, aucun parent d’élève, aucun étudiant, aucun enseignant et mieux aucun responsable politique n’a intérêt à ce que le marasme actuel demeure. Car il y va de l’avenir de notre jeunesse et donc de notre pays.