L’avenir du franc CFA dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) était en débat, le 1er juin à Libreville, dans le cadre d’une conférence organisée par Imagine Gabon. Fidèle Magouangou, docteur nouveau régime en Économie mathématique et économétrie, propose dans l’interview ci-après, la création d’une monnaie nationale.
Question : Vous avez participé à la conférence sur l’avenir du franc CFA dans l’espace Cemac. Quelle est votre position sur cette question ?
Fidèle Magouangou : J’ai essayé de démontrer que si nous avons l’ambition d’avoir une économie de production diversifiée et prospère, il fallait avoir une monnaie nationale pour la simple raison que le franc CFA ne nous a pas permis de développer des capacités de productions nationales qui nous auraient donné la possibilité de produire les biens et les services consommés par les populations gabonaises. En plus, le franc CFA étant une monnaie surévaluée, elle ne nous permet pas de développer nos exportations. Il avantage les importations au détriment des productions locales. Le dernier point sur lequel j’ai insisté, c’est celui selon lequel le système du franc CFA, la monnaie franc CFA, ne nous permet pas d’avoir du crédit pour faire fonctionner l’économie. Donc, le taux de liquidité des économies de la zone franc est très faible. Nous sommes autour de 23% alors que dans les pays européens, la masse monétaire sur le PIB (Produit intérieur brut), qui est un indicateur de taux de liquidité, est autour de 100%. Pour toutes ces raisons, j’ai indiqué qu’il était préférable, pour l’avenir de l’économie gabonaise, de sortir du franc CFA.
Est-ce sur un coup de tête que vous proposez cette idée de monnaie nationale ?
Vous pensez bien que sur ce genre de sujet, on ne peut pas réagir sur un coup de tête. Vous imaginez que pour préparer ce type de conférence, j’ai commencé à publier sur cette question, il y a des années. Ce n’est pas la première fois que j’écris sur cette affaire de monnaie nationale. Je crois que j’ai des lecteurs qui me suivent. Je publie généralement sur Gabonreview et vous pouvez taper Magouangou et vous verrez tous les articles. J’ai même publié dans l’Union.
Pensez-vous que toutes les conditions sont réunies pour une telle initiative ?
Dans mes développements, j’ai indiqué quels étaient les préalables. Elles sont environ cinq. Le premier préalable est qu’il faut un État fort, capable de défendre ses frontières terrestres, navales et aériennes. Il faut un État qui puisse garantir la sécurité intérieure. Ensuite, il faut une discipline budgétaire, une banque centrale indépendante et enfin, il faut que les membres du gouvernement de la banque centrale, c’est-à-dire les personnes qui seront chargées de gérer la banque, aient un minimum de culture économique et soient recrutés sur la base d’une procédure orthodoxe, c’est-à-dire avec des appels à candidatures.
Lorsque l’on regarde les cas des pays comme le Zaïre à l’époque qui avait sa propre monnaie, on se demande s’il n’y aura pas de dérives inflationnistes.
Pourquoi ne parlez-vous pas du Rwanda, du Botswana, du Ghana, du Maroc, de la Tunisie, etc. ?
Ces pays ont des industries fortes, ce qui n’est pas encore le cas du Gabon.
Ce que j’essaie de faire comprendre c’est que pour développer ces industries, on a besoin de crédits et une monnaie qui ne fournit pas suffisamment de crédit, n’est pas propice au développement. C’est comme si vous étiez là, en tant qu’être humain avec un litre de sang alors qu’il vous en faut cinq. C’est ça le problème de la monnaie. La monnaie est comme le sang dans le corps. Quand il n’y a en a pas suffisamment, vous ne pouvez pas être en bonne santé. C’est le cas de nos économies. C’est pour cela que depuis des années, nous n’arrivons pas à avoir des structures de production qui nous permettent de produire des biens différenciés.
Faut-il donc avoir sa propre monnaie pour avoir une économie forte ?
Je ne dis pas que la monnaie, à elle seule, règle tous les problèmes. Ce que je dis c’est que c’est important d’avoir une monnaie nationale parce que vous pouvez orienter le crédit vers les secteurs que vous jugez prioritaires. Dans le cadre d’une monnaie commune, c’est extrêmement compliqué. Lorsque vous êtes dans une zone monétaire et que vous êtes confrontés à des chocs asymétriques, la réaction de la banque centrale est un peu difficile puisque dans un cas, il faut augmenter le taux d’intérêt pour éviter la surchauffe et dans l’autre cas, il faut le diminuer pour favoriser la relance. J’ai pris le cas du Gabon et de la République centrafricaine (RCA) qui partagent en commun la même monnaie, mais lorsque le prix du pétrole augmente, la RCA ne produisant pas de pétrole, c’est un choc négatif pour lui. Dans ce cas, on aurait dû baisser les taux d’intérêt.
Or, on ne peut pas le faire parce qu’il faut augmenter le taux d’intérêt pour éviter l’inflation. Vous voyez donc que la banque centrale est dans une situation difficile. Or, si vous avez une monnaie nationale, si la RCA avait sa monnaie, elle baisserait ses taux d’intérêt et relancerait son activité économique. Si le Gabon avait sa monnaie, il pourrait augmenter les taux d’intérêt pour maitriser l’inflation. Voilà pourquoi je dis qu’il est plus facile pour les responsables économiques d’avoir une monnaie nationale. C’est plus facile à gérer. Vous pouvez combiner politique monétaire et politique budgétaire et avoir des performances économiques plus importantes.