Le limogeage des désormais ancien vice-président de la République et ancien ministre des forêts est l’aboutissement de la manipulation des faits, de la justice et de l’opinion.
Pour la deuxième fois en quatre ans, le pouvoir fait ses choux gras de la gestion illégale des ressources forestières. En 2015, la gendarmerie avait mené une spectaculaire perquisition au ministère des Forêts (lire «Descente musclée de la gendarmerie»). Dans la foulée, une bonne partie de la technostructure avait été interpellée. Moins d’un mois plus tard, le soufflé retombait. Depuis l’annonce de la disparition de 353 containers de kevazingo et, davantage depuis le limogeage de Pierre-Claver Maganga Moussavou et Guy Bertrand Mapangou, de nombreux observateurs dressent un parallèle entre ces deux séquences historiques. Entre circonspection et colère, les esprits avertis balancent. En son for intérieur, le procureur de la République le sait : jamais une affaire de cette nature n’a donné lieu à une enquête impartiale et concluante. Systématiquement, la justice s’est enlisée dans les sables mouvants de l’instrumentalisation.
Propos soutenu par aucun document
En 2015, tous les hauts fonctionnaires mis en cause furent réhabilités, sans explication aucune. Moins d’un mois après leurs arrestations, nombreux d’entre eux étaient confirmés dans leurs fonctions. D’autres avaient même le privilège de connaitre des promotions. Auditionné par la contre-ingérence militaire (lire «Nelson Messone entendu par le B2»), l’ancien ministre Noël Nelson Messone demeura en poste à la présidence de la République, avant de repartir au gouvernement. En dépit des mises en scène, personne ne fut reconnu coupable. Fort de ce précédent, on peut en prendre le pari : le “Kévagate” connaîtra le même sort. Dans son traitement politique, juridique ou médiatique, tout en atteste : les désormais ancien vice-président de la République et ancien ministre des Forêts ont été limogés au terme d’une grossière manipulation.
Au-delà des apparences, il y a eu manipulation des faits. Sans exonérer quiconque, les documents publiés çà et là sont loin d’être authentiques (lire «Ces faux documents censés accabler Mapangou»). Quand leur authenticité est établie, ils sont l’objet d’un usage détourné. Cas de cette fameuse correspondance, datée de mai 2018 et, destinée à Jacques Denis Tsanga et non à Guy Bertrand Mapangou (lire «Maganga Moussavou se décharge»). Il y a ensuite eu manipulation de la justice. Sans brandir la moindre preuve, le procureur de la République a d’abord annoncé la disparition de 353 containers, avant d’affirmer en avoir retrouvé 200. Dans l’un ou l’autre des cas, son propos n’était soutenu par aucun document. Si on se doit de lui concéder la confidentialité de l’instruction, on peut tout de même s’interroger sur l’absence d’images et de procès-verbaux (lire «La défense de François Wu exige des éléments juridiques»). Ce seul constat suffit à semer le doute sur la véracité des faits allégués. Il y a, enfin, eu manipulation de l’opinion. Faisant mine de répondre aux attentes des populations, le pouvoir a feint de s’être engagé dans la lutte contre la corruption. Surfant sur l’intérêt de la communauté internationale pour les questions écologiques, il a voulu faire croire à une campagne de lutte contre l’exploitation illégale des ressources naturelles.
Effluves de complot
Depuis 2009, le pouvoir politique instrumentalise la question écologique à des fins de légitimation internationale. Malgré les ennuis de santé d’Ali Bongo, la même recette est resservie. Quand bien même les dysfonctionnements de la justice et les failles dans la sûreté portuaire mettent en lumière une gouvernance hérétique, il s’efforce placer la gestion des ressources naturelles au centre du débat. Ne lui en déplaise, on ne peut se demander comment de la marchandise sous main de justice a-t-elle pu disparaître. Y a-t-il eu mainlevée ? D’où est parti l’ordre ? Comment l’autorité portuaire a-t-elle pu assister au chargement d’une cargaison d’une telle importance sans chercher à en savoir davantage ? En éludant ces questions, le pouvoir a transformé le “Kévagate” en une vile fumisterie politicienne. Après tout, les ministères des Transports, de l’Économie et de la Justice ne sont pas exempts de tout reproche. Pourquoi doivent-ils bénéficier d’un traitement particulier ? Pourquoi leurs responsables doivent continuer à siéger au gouvernement quand d’autres sont priés d’aller voir ailleurs ? À la fin des fins, cette affaire exhale des effluves de complot. Comme s’il fallait absolument livrer les uns à la vindicte populaire pour mieux protéger les autres.
Pierre-Claver Maganga Moussavou et Guy Bertrand Mapangou, victimes expiatoires ? Plusieurs jours durant, ils ont été présentés comme des hommes sans foi ni loi. Pourtant, du haut de leurs fonctions, ils n’avaient de cesse de clamer leur innocence. En les limogeant sans attendre les conclusions de l’enquête, le pouvoir a conclu à leur culpabilité. Pour sa propre crédibilité, il doit maintenant donner suite aux interrogations sur la responsabilité des ministres en charge des Transports, de l’Économie et la Justice. Comme dirait Christiane Taubira, il doit le faire «pour le dernier mot à l’éthique et au droit».