Je ne savais pas que notre rencontre fortuite il y a quelques jours non loin des feux tricolores du quartier « Gros Bouquet » à Libreville était la dernière. Comme nous en avions l’habitude, nous nous sommes amusés en nous lançant quelques phrases marquant l’affection que l’un avait pour l’autre, une affection entretenue depuis plusieurs décennies. En effet, Samson était certes un cadet, mais un cadet avec qui j’ai partagé de nombreux et bons instants de ma vie à commencer par celle d’étudiant. « Je parle beaucoup de toi ! », voici ce qu’il m’a lancé ce jour-là en guise de réponse à mon « cadence Masa à Yop city », un rappel d’un des lieux qu’il affectionnait le plus, le quartier de « Yopougon » à Abidjan en Côte- d’Ivoire pour ses rues grouillant de monde et les heureux souvenirs qu’il lui a laissés alors qu’il séjournait dans la capitale économique ivoirienne dans le cadre d’une formation en journalisme culturel financée par l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) du temps où le canadien Jean-Louis Roy dirigeait cette institution, ancêtre de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).
Quelle plaisir l’on éprouvait à être aux côtés de l’un de ceux qui ont fait les beaux jours de l’Agence Gabonaise de Presse (AGP). Samson Ebang Nkili avait ceci de particulier qu’il savait entretenir la bonne humeur allant jusqu’à accepter les railleries de ses collègues qui se plaisaient à lui rappeler ses frasques passées, car bon vivant, il l’était, n’hésitant pas ainsi que l’indiquait sa nature à se laisser aller à des beuveries lorsque les circonstances s’y prêtaient sans arrières- pensées. Ce qui faisait de lui une personnalité centrale. Samson mêlait avec maestria humour et travail accompagnant tout processus de communication de sa voix calme et pleine d’assurance. C’est qu’il savait de quoi il parlait.
Celui grâce à qui le Gabon de la presse a en partie acquis ses lettres de noblesse pour avoir pendant longtemps présidé l’Association Internationale des Journalistes de Langue Française (AIJLF) et s’être à l’occasion fait respecter de ses pairs s’en va après avoir administré de bonnes leçons d’humilité et de travail à ses confrères auxquels il manquera énormément. Lui et moi, disais-je, avons partagé de très bons moments dont l’un des plus saillants restera à n’en point douter ce voyage en terre ivoirienne dans les années 80. Nous y étions allés à la faveur d’une bourse de l’ACCT, nous spécialiser en journalisme culturel et avions été logés d’abord à l’hôtel Ibis de Marcory, ensuite au somptueux hôtel Ivoire.
Chaque jour après les cours, nous cherchions Samson qui disparaissait pour être vu dans le quartier populaire de Yopougon où il avait tissé des liens d’amitié non seulement avec quelques Gabonais y résidant, mais aussi avec de nombreux Ivoiriens qui l’avaient adopté. C’est dans ce cadre qu’il apprenait des idiomes locaux pour alimenter ses textes qui paraissaient comme les nôtres d’ailleurs dans le journal « le Jour », l’un de ceux qui étaient le plus lus à cette époque à Abidjan et dans lequel devait paraître toute la littérature concernant le premier Marché des Arts du Spectacle Africain (MASA) dont nous avons eu le privilège de couvrir la toute première édition. Ce pourquoi nous avions bénéficié de la bourse de l’Agence de Coopération Culturelle et Technique.
Lorsqu’un matin à l’heure où l’on parlait de l’ouverture de l’évènement tant attendu, l’on était soumis à un exercice consistant à proposer comme cela se fait dans toutes les rédactions le titre du papier devant faire la « Une » du « Jour », Samson levait le premier son index droit et avançait deux titres : « Cadence Masa à Yopougon » et « Masa ci, Masa ça » non sans arracher l’hilarité de toute la salle qui n’avait en tête que le souvenir de ses sorties dans le quartier le plus peuplé d’Abidjan, deux ou trois fois aujourd’hui la population du Gabon, d’où il revenait en joie et couvert d’histoires insolites à vous conter. Ledit quartier hantait tellement son esprit qu’il avait fini par le nommer « Yop city ».
Son cheval de bataille : le travail bien fait et une meilleure considération
Ses titres étaient presque tous acceptés par ses confrères et les encadreurs qui les trouvaient originaux, c’est que le journaliste traînait avec lui plusieurs années d’expérience en Agence où il se signalait par la qualité de son travail et de ses écrits qui vous donnaient envie de parcourir le texte jusqu’au point final. Samson épousait un style d’écriture qui s’apparentait à la langue parlée sans pourtant qu’il tombe dans les travers de celle-ci, collant bien à l’esprit du lecteur qu’il invitait insidieusement à épouser la trajectoire qu’il imprimait à ses écrits. Quand il proposait par exemple « Cadence Masa à Yopougon », il voulait rendre hommage aux populations qui y vivaient et qui voyaient dans le Marché des Arts du Spectacle Africain, un moyen de non seulement s’extérioriser, mais aussi de montrer de quoi elles étaient capables aux yeux du monde.
Quant à « Masa ci, Masa ça », il faisait allusion à l’organisation de la grande fête culturelle qui devait, c’était une innovation, se dérouler en même temps en salle et à l’air libre, d’où les dénominations « Masa in et Masa off ». L’on comprend à partir de ces deux exemples la subtilité existant chez le journaliste qui aimait écrire avec une précision arithmétique que lui envieraient les amoureux ou accrocs des belles lettres. Celui que nous ne reverrons plus avait tout d’un sage conseiller qui profitait souvent d’un temps de pause pour faire des remarques professionnelles à certains de ses collègues surtout les plus jeunes qu’il avait hâte de voir grandir dans la profession.
Ses conseils étaient souvent justifiés et reçus pour cela avec humilité, car ils étaient adressés aux destinataires dans un ton dénué de mépris, mais plutôt teinté de considération, une considération que Samson affichait à l’endroit de tous les professionnels de la communication et de leur profession.
Ce qui explique qu’il ait passé le plus clair de son temps à débattre de la Charte des devoirs et droits de Journalistes au Gabon et du Code de la Communication dont il relevait les insuffisances chaque fois qu’il laissait parler son cœur, tout en invitant ses interlocuteurs à s’associer à lui pour faire entendre la voix de la corporation qu’il disait en danger du fait des conditions d’existence et de travail exécrables qui nécessitaient un combat de longue haleine pour être revues dans le sens de l’amélioration. Dommage que ses derniers jours aient été difficiles partageant son temps entre la rédaction et l’hôpital, le mal qui le rongeait prenant de plus en plus le dessus sur ce gabarit bien perché sur ses jambes du temps de sa splendeur.
Avec cette perte, la presse gabonaise, surtout celle des années 80, perd l’une de ses figures emblématiques, Dieu seul sait si ses idées résisteront au temps de loin notre pire ennemi en ce qu’il ne nous propose que très peu de choses susceptibles de nous amener croire qu’il est pour un avenir proche, le jour où la presse gabonaise méritera la considération que Samson Ebang Nkili et bien d’autres veulent qu’elle mérite. Samson, j’espère bien que dans ton séjour dans l’au-delà, tu rencontreras notre frère commun Jean-Hilaire Okouma M’Engazi parti comme toi à la fleur de l’âge et qu’ensemble vous vous rappellerez les bons moments passés ici avec moi. Mon seul soulagement en dehors de souhaiter que Dieu vous accueille comme il se doit dans son royaume !