Fondant sa décision sur les termes de la Constitution et de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, le président du tribunal de première instance de Libreville s’est livré à une prévisible fuite en avant.
Tout de suite relayée par la presse internationale, l’information a failli passer inaperçue : la justice a refusé d’ordonner une expertise médicale afin de faire toute la lumière sur l’état de santé d’Ali Bongo. Fondant sa décision sur les termes de la Constitution et de la loi organique sur la Cour constitutionnelle, le président du tribunal de première instance de Libreville a estimé «que, d’une part, les requérants n’ont pas qualité pour agir et, d’autre part, que la question objet de leur requête de relève pas de (sa) compétence». Autrement dit, tout en déniant à des citoyens/électeurs le droit de s’enquérir de l’état de santé du président de la République, il s’est refusé à appliquer les dispositions relatives aux «mesures d’instruction exécutées par un technicien».
Un objectif pourtant simple
De fait, le 28 mars dernier, les initiateurs de «l’Appel à agir» avaient saisi le juge des référés aux fins d’exiger une expertise médicale sur la personne d’Ali Bongo. Aucune plainte contre le président de la République n’ayant jamais prospéré, la curiosité de l’opinion s’aiguisa aussitôt. En ces temps d’éveil des consciences, les observateurs étaient curieux de savoir comment le président du tribunal allait traiter cette question. Après avoir longuement louvoyé, il a rendu une ordonnance d’irrecevabilité, suscitant des doutes sur la capacité de notre système judiciaire à ne pas céder aux pressions politiques.
Conformément à l’article 280 de la loi n° 022/2001 du 9 avril 2003 portant Code de procédure civile, la requête des initiateurs de «l’Appel à agir» visait un objectif pourtant simple : la désignation d’une «personne (…) pour éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise (le débat sur les réelles capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo)». En l’occurrence, ce médecin-expert aurait été désigné par le président du tribunal. Même si un recours pouvait être envisagé, le dernier mot lui revenait. Mieux, le travail d’expertise aurait été effectué dans des limites préalablement prescrites. Ainsi, le risque de voir ce médecin s’épancher sur le parcours de soins d’Ali Bongo ou de se prononcer sur les implications institutionnelles était-il écarté d’emblée.
Refus d’assumer leurs responsabilités
Au lendemain de cette spectaculaire mais non moins prévisible fuite en avant, de nombreuses images défilent dans les esprits. Trois ans après la présidentielle d’août 2016, l’histoire semble se répéter. Si les interrogations sur l’état de santé du président de la République fusent de toutes parts, elles portent tout autant sur l’indépendance de la justice. Dans ce contexte, le parallèle entre la situation présente et la polémique sur l’état-civil d’Ali Bongo est vite établi. Du coup, on en arrive à interroger la législation. Après tout, comme la qualité pour agir, la compétence des juridictions ou les formalités dans le cadre d’un procès, les voies d’exécution ou de recours et les méthodes alternatives de règlement des conflits sont consignées dans la loi. Selon l’article 5 du Code de procédure de civil, «le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé». L’article 7 de la même loi ajoute : «Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat». Aux termes de ces dispositions, le président du tribunal aurait dû se limiter à se prononcer sur la demande d’expertise médicale. Et rien d’autre. En rappelant les dispositions constitutionnelles relatives à la «vacance du pouvoir», en évoquant un éventuel «empêchement définitif», il est allé au-delà de l’objet de la requête des initiateurs de «l’Appel à agir». Comme s’il avait quelque chose à craindre.
Pourtant, la justice demeure un élément fédérateur des sociétés modernes. Contrairement aux dérobades en tout genre ou à la partialité des institutions, elle garantit la reconnaissance et le respect des droits de chacun. Cette fonction stabilisatrice lui est reconnue dans tous les domaines de la vie. Autrement dit, la médiation juridictionnelle conforte la légitimité du pouvoir politique. L’histoire récente nous a, d’ailleurs, montré combien les manipulations judiciaires pouvaient déteindre sur le climat socio-politique. S’étant systématiquement déclarés incompétents, ayant déclaré irrecevables la plupart des requêtes, les magistrats n’ont jamais pu vider le dossier lié à l’état-civil d’Ali Bongo. Il en a résulté une frustration aux effets toujours perceptibles. Passant outre les enseignements du passé, certains parmi eux brillent par un refus d’assumer leurs responsabilités, quitte à porter atteinte au droit à la justice. Pour eux, la justice ne se rend pas au nom du peuple. Elle n’est pas non plus au service de tous. Elle est simplement un instrument à la gloire des puissants.