Lors du lancement de la concertation initiée par ses soins, le Premier ministre est apparu comme le digne représentant d’une coterie prête à tout pour conserver le pouvoir, y compris brutaliser l’ordre institutionnel ou prendre les libertés avec la loi.
Le 23 du mois en cours, le Premier ministre invitait les syndicats à se joindre au gouvernement pour discuter de nombreux points contenus dans sa feuille de route. Du haut de son statut, il en profitait pour clamer «le caractère inéluctable des réformes» annoncées dans son discours de politique générale. Si certains avaient voulu y croire, cette déclaration doucha leur enthousiasme. Pourtant, elle aurait dû inciter les zélateurs et naïfs de tout poil à regarder la réalité en face : ne partageant plus le pouvoir exécutif avec le président de la République, le Premier ministre ne peut décider de rien. Surtout, dans le contexte actuel, marqué par les incertitudes sur les capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo. Julien Nkoghé Békalé l’ignorait-il ? Si on a des raisons d’en douter, on peut tout autant y croire. Du coup, son initiative mérite d’être analysée avec minutie.
Chantre d’une gouvernance rétrograde
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), le dialogue social se définit comme «l’ensemble des processus de négociations, de partage de l’information ou de consultation mis en place entre le gouvernement, les employeurs et les salariés dans le cadre de problématiques ou de questions liées à la politique économique et sociale menée par l’État». Jusqu’ici, les initiatives de ce type ont été décidées par le président de la République et placées sous son autorité. Le rôle joué par le Premier ministre dans l’édition en cours a, de ce fait, quelque chose de surprenant. En tentant de minimiser les blocages nés de l’absence d’Ali Bongo, en évitant le débat sur le respect de la liberté syndicale, Julien Nkoghé Békalé a légitimé les critiques de certains participants. A-t-il pris l’engagement d’institutionnaliser le cadre de concertation ? Il a plutôt ouvert la polémique sur l’étendue de son pouvoir réglementaire. A-t-il proclamé sa volonté d’impliquer «l’ensemble du corps social» ? Il a davantage donné l’impression d’instrumentaliser certains syndicats et d’ostraciser d’autres.
En faisant comme si l’absence du président de la République n’était pas lourde de conséquences, en se gardant de demander le retrait de l’arrêté portant suspension des activités de la Convention nationale des syndicats du secteur de l’éducation (Conasysed), le Premier ministre a suscité des doutes sur ses réelles intentions. A-t-il prétendu tenir un «langage de vérité» ? Il s’est, en réalité, posé en chantre d’une gouvernance rétrograde, fondée sur la dissimulation, l’intimidation, le débauchage et les intrigues d’arrière-cour. Il est apparu comme le digne représentant d’une coterie prête à tout pour conserver le pouvoir, y compris brutaliser l’ordre institutionnel ou prendre les libertés avec la loi. Si les participants à ce dialogue social ne veulent pas servir de marchepied, ils ne doivent nullement transiger avec les principes républicains et valeurs démocratiques.
Poser et reposer la question essentielle
Sur les réformes en elles-mêmes, notamment celles liées à la redistribution de la richesse nationale, tant de réserves peuvent être émises. Julien Nkoghé Békalé a cru user d’un argument d’autorité en se référant au Plan de relance de l’économie (PRE). En annonçant la mise en place de commissions thématiques, il s’est posé en homme de méthode. N’empêche, il n’a apporté aucun gage d’ouverture. De même, il n’a donné aucune garantie quant à la mise en œuvre des politiques publiques. Enjeux essentiels d’une telle grand-messe, la formulation d’un consensus national et la participation de l’ensemble des acteurs à la vie publique sont loin d’être assurés. Fidèle à lui-même, le Premier ministre n’a nullement levé les inquiétudes sur sa conception de la gouvernance démocratique. Bien au contraire. N’ayant pas proclamé le caractère inaliénable du droit de grève, s’étant montré insensible au sort de le Conasysed, ayant présenté les réformes envisagées par son gouvernement comme des panacées, ayant annoncé sa volonté de prendre un arrêté en lieu et place d’un décret, il a laissé le sentiment d’être engagé dans une intrigue politique politicienne.
Au risque d’embarquer le pays dans une galéjade sans lendemain ou de cautionner une vaste fumisterie, il faut dissiper cet écran de fumée. Dans l’immédiat, il faut poser et reposer la question essentielle : où se trouve le président de la République, clef de voûte des institutions, architecte unique de «la politique de la nation» et «détenteur suprême du pouvoir exécutif» ? Pour offrir à ce dialogue social des chances de réussite, la réponse à cette interrogation doit être exigée. En tout cas, les démocrates et républicains de tous bords y ont intérêt.