Suite au mouvement d’humeur des lycéens, le silence du président de la République rend encore plus prégnant le débat sur les capacités physiques et cognitives d’Ali Bongo.
Au lendemain de la tentative de putsch menée par le lieutenant Kelly Ondo Obiang, de nombreux observateurs s’étaient inquiétés de l’absence de réaction du président de la République. Selon eux, ce mutisme rendait inéluctable la constatation de la vacance du pouvoir. Malgré les cérémonies d’assermentation, en dépit d’un retour à grand renfort médiatique et sur fond de débauche d’argent, cette demande n’a plus jamais faibli. Bien au contraire, elle rythme désormais l’agenda politique national. Du Premier ministre au groupe des 10 en passant par Gérard Ella Nguéma, Zacharie Myboto ou Jean Ping, de nombreux acteurs politiques y sont allés de leurs tirades respectives, les uns la jugeant inopportune, les autres la décrivant comme une «nécessité».
Du jamais vu
Faisant l’économie de ses démarches actuelles, au cours d’une conférence de presse, le week-end écoulé, le groupe des 10 s’est interrogé sur l’identité du donneur d’ordre au sommet de l’Etat. Evoquant l’inédit mouvement d’humeur des lycéens, en contestation de la modification des critères d’attribution des bourses, il s’est ému du silence d’Ali Bongo. Si un président de la République ne doit pas s’exprimer à tout bout de champ, il ne peut observer le mutisme quand la jeunesse manifeste contre une décision prise en Conseil des ministres, instance présidée par lui-même. Surtout, il ne peut se taire quand cette même jeunesse dénonce une hypothèque sur son avenir. Or, à l’exception du laconique discours à la nation de la Saint-Sylvestre, Ali Bongo ne s’est plus exprimé depuis octobre dernier, soit près de six mois. Une longue abstinence médiatique tout de même !
Du reste, suite au tollé général, le Conseil interministériel s’est autorisé à édulcorer le projet adopté en Conseil des ministres. Du jamais vu ! Comme si ces deux instances étaient juridiquement d’égale importance. Comme si elles étaient, toutes les deux, décisionnaires. Comme si elles avaient le même poids et les mêmes prérogatives. Comme si les articles 16 et 30 de la Constitution n’étaient pas assez explicites. «Qui dirige le Gabon ?», s’est aussitôt interrogé le groupe des 10, avant d’asséner : «Dans les faits, le Gabon est un pays sans président de la République». Il y a effectivement matière à s’interroger, tant le Premier ministre prend des libertés avec les règles de fonctionnement d’un Etat. Il y a des raisons de s’inquiéter, tant confusion des rôles et mélange des genres s’installent au sommet de l’Etat.
Soupçon et rumeurs de tous ordres
Ce capharnaüm entretenu n’est pas pour rassurer. Il porte atteinte à l’image de notre pays. S’il met en lumière les atteintes aux principes fondamentaux de la République, il laisse transparaître des dysfonctionnements au sein de l’appareil d’Etat. Dans ce contexte, peut-on parler de fonctionnement régulier des institutions ? N’en déplaise à la Cour constitutionnelle, on en est loin. Peut-on alors soutenir l’effectivité de la continuité de l’Etat ? Nonobstant les dénégations du gouvernement, on s’en éloigne chaque jour un peu plus. Tout cela rend encore plus prégnant le débat sur la constatation de la vacance du pouvoir : comment faire croire à l’exercice de la fonction présidentielle quand le Conseil interministériel se substitue au Conseil des ministres, comment parler d’un président de la République au travail si des doutes persistent sur ses capacités physiques et cognitives, comment soutenir l’idée d’une présence continue sur le territoire national quand la presse internationale le dit hors du pays ?
Depuis le déclenchement des ennuis de santé d’Ali Bongo, les forces sociales n’ont eu de cesse d’inviter les institutions à placer l’action publique sous le sceau de deux principes cardinaux : la transparence et la responsabilité. A l’épreuve des faits, cette demande est restée lettre morte, ouvrant le voie au soupçon et aux rumeurs de tous ordres. Pour ne pas faire le lit du conspirationnisme, au risque de sombrer dans une crise politique majeure, une seule option : la défense des «intérêts de la République», pour reprendre le mot de la présidente de la Cour constitutionnelle. Chiche, comme dirait l’autre…