L’héritage désigne le patrimoine d’une personne défunte transmis par succession. Le mort ayant la capacité d’influencer les choix des vivants, c’est aussi la matérialisation d’un pouvoir post-mortem.
Comment tourner le dos à des années de militantisme au sein du Parti démocratique gabonais (PDG) ? Comment répudier son crédo doctrinal ? Comment remettre en cause l’œuvre d’Omar Bongo sans en laisser le sentiment ? Tout au long du week-end écoulé, le Rassemblement héritage et modernité (RHM) a essayé d’y apporter des réponses. A la faveur de son premier congrès extraordinaire, l’ancienne dissidence du PDG a changé d’identité, devenant le Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM). Ne supportant plus d’être regardé comme un repaire de nostalgiques d’une ère peu glorieuse, RHM a entrepris de reconditionner sa marque. Outre le nom, la devise et le logo ont également été changés. Au passage, un hymne a été adopté.
Le droit de tracer sa route en toute souveraineté
À la manière des enseignes commerciales, le parti d’Alexandre Barro Chambrier a choisi d’user des techniques du marketing. Se disant engagé dans le combat pour «l’alternance et la libération de notre pays», il a renoncé à la logique successorale, préférant magnifier la patrie. Réaffirmant son ancrage dans l’opposition, il s’est dit foncièrement opposé au «système Bongo-PDG», proclamant sa dévotion au seul Gabon. Cherchant à donner au triptyque union-travail-justice un contenu bien à lui, il a mis en exergue le lien entre démocratie, développement et équité. C’est dire si pour le RPM, la consolidation du vivre ensemble passe par le respect des valeurs démocratiques. C’est aussi dire si ce parti entend faire de la valeur travail le levain de la prospérité économique. C’est, enfin, dire s’il prétend réconcilier justice naturelle et éthique.
Au demeurant, cette opération de rebranding s’apparente à une entreprise de liquidation : le legs politique d’Omar Bongo vient d’être jeté par-dessus bord. Élément essentiel des processus mémoriels, l’héritage désigne le patrimoine d’une personne défunte. Transmis par succession, il est la matérialisation d’un pouvoir post-mortem, le mort ayant la capacité d’influencer les choix des vivants. Comme le disait Mikhaïl Bakounine dans son Catéchisme révolutionnaire, l’héritage permet au de cujus de faire exécuter sa volonté, quitte à imposer des options à sa descendance. Aussi, s’affranchir d’un héritage revient-il à revendiquer sa liberté. Tout au moins, cela équivaut à exiger le droit de tracer sa route en toute souveraineté. Au-delà, c’est une manière de rappeler aux continuateurs du défunt l’inanité de leur démarche.
Le piège de l’intransigeance
En renonçant à leur part d’«héritage», les amis d’Alexandre Barro Chambrier ont implicitement invité la classe politique à rompre avec la pratique politique héritée d’Omar Bongo. En célébrant la «patrie», ils ont dit leur volonté de se mettre au service de certaines valeurs. Au dialogue en trompe-l’œil, ils ont dit devoir d’opposer une unité de tous les instants ; à la tolérance de façade, ils ont affirmé préférer l’ouverture par le mérite ; à la paix construite sur la corruption et les arrangements d’arrière-cour, ils ont pris le pari de substituer le respect des droits de la personne. Comme une frange non négligeable de l’opinion, ils en sont convaincus : la prégnance des intérêts privés et partisans, le déficit de transparence, l’irresponsabilité des dirigeants et les collusions institutionnelles sont des freins au développement. Or, ce sont les principaux marqueurs de la gestion PDG. D’où cette détermination à s’en départir.
Tout au long de leurs assises, Alexandre Barro Chambrier et ses amis l’ont dit et redit : il y a urgence à «marquer une réelle rupture avec le passé». A quelque chose près, ils avaient tenu le même discours, le 27 juin 2015, lors de leur première sortie. Même s’ils avaient feint de le regretter, ils avaient alors présenté le PDG comme un parti ankylosé, «incapable de s’émanciper de son tropisme monolithique, tout en discréditant (…) le socle légué par (…) Omar Bongo, forgé dans le dialogue, la tolérance et la paix». Invitant Ali Bongo à briser «la gaine, le carcan, l’armure clanique», ils mettaient à l’index «des associations ploutocratiques aux relents phalangistes» composées d’«habiles profito-situationnistes, aux chaussures enfoncées dans la boue des chemins tortueux de l’enrichissement astronomique sans cause». N’en jetez plus ! Si beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, on serait quand même tenté de leur rappeler cette maxime de Saint Just : «Un patriote est celui qui soutient la République en masse ; quiconque la combat en détail est un traitre». À eux d’éviter le piège de l’intransigeance…