Conseiller stratégique de la Convention nationale des syndicats du secteur éducation (Conasysed), Marcel Libama est de tous les combats depuis son arrivée dans l’univers syndical. Un combat qui a pris de la vigueur avec l’état de santé d’Ali Bongo et les récentes mesures du gouvernement sur les salaires des fonctionnaires, la main-d’œuvre non permanente et les bourses. Dans cette interview accordée à Gabonreview, le syndicaliste pose un regard froid sur la situation sociopolitique actuelle, se risquant même à mettre le gouvernement en garde sur l’imminence d’une montée d’adrénaline populaire.
Gabonreview : Que répondez-vous au gouvernement qui vous accuse de quitter la sphère corporatiste au profit des intérêts politiques ?
Marcel Libama : Je tiens à rappeler qu’en 2005, le Syndicat de l’éducation nationale (Sena), en coalition avec d’autres syndicats, avait créé l’intersyndicale qui avait fait la campagne d’Omar Bongo sur l’ensemble du territoire national. À l’issue de cette campagne, Christiane Bitougat avait été nommée ministre du Travail. Est-ce que ce même gouvernement avait dit que les syndicats ont quitté le champ des revendications pour la sphère politique ? Maintenant, je voudrais dire à ce gouvernement que depuis la Renaissance, les syndicats travaillent toujours sur le champ politique. Jean-Pierre Cot, ancien ministre français et professeur de droit disait ceci : «Les problèmes de tout le monde sont les problèmes politiques, les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde». L’école, la santé, la route, l’habitat, etc., sont toutes des questions politiques sur lesquelles travaillent les syndicats.
Il ne faut pas réduire le syndicat aux revendications uniquement corporatistes. Il peut aussi intervenir sur les questions politiques, environnementales, juridiques, etc. Celui qui connaît la généalogie et l’histoire du syndicat sait très bien que cette organisation est à la fois un acteur économique et politique. En RDC notamment, les syndicats ont beaucoup contribué à l’essor de la démocratie. Lors du printemps arabe, nous savons tous le rôle déterminant de l’Union générale des travailleurs tunisiens. Ce syndicat a même reçu le prix Nobel de la paix. Plus récemment en Algérie, l’Union générale des travailleurs algériens est parmi les organisateurs de mouvements contre Abdelaziz Bouteflika. En gros, le procès du gouvernement ne tient pas la route, car il sait très bien que le syndicat travaille toujours dans le champ politique.
Pourtant, le syndicalisme gabonais n’a jamais remporté de batailles aussi prestigieuses qu’en Tunisie ou en Algérie…
Je pense que notre syndicalisme est relativement jeune. Mais dans cette jeunesse, beaucoup de choses ont été faites. Il faut comprendre que le gouvernement ne nous facilite pas la tâche. Bien au contraire, il participe énormément à la division des syndicats par le biais de l’argent, les nominations et même la création de «syndicats jaunes» ; dont la vocation est de perturber les véritables syndicats.
Le pouvoir n’est-il pas dans son droit de se battre pour perdurer ?
Il ne perdurera pas ! Car le gouvernement se fait rattraper par les actes qu’il pose. Nous avons une vingtaine de centrales syndicales au Gabon et un millier de syndicats autonomes. Comment le gouvernement peut-il prétendre discuter avec les syndicats autonomes et les fédérations ? En France par exemple, le gouvernement ne discute qu’avec les syndicats qui ont remporté les élections professionnelles. Celles-ci permettent en effet de déterminer une représentativité. Et donc, le gouvernement ne devrait discuter qu’avec les organisations représentatives. Or, ce gouvernement a cette appétence de discuter avec des syndicats «mallettes», «cabines téléphoniques», sans adhérents et sans siège.
Du coup, l’on retrouve sur la table des négociations, ces syndicats «façon-façon». Tout ceci est de nature à affaiblir les organisations qui défendent réellement les préoccupations des travailleurs. Dynamique unitaire, par exemple, est la seule centrale qui n’a pas de subvention. Par ailleurs, le gouvernement a toujours accusé les syndicats et la société civile d’être à la solde des ONG étrangères, l’opposition ou encore Jean Ping. Le gouvernement ne nous facilite pas la tâche, mais nous nous battons toujours pour exprimer notre point de vue.
Dynamique unitaire était attendue à la Chambre de Commerce le 31 mars, où la Coalition des 10 a finalement tenu son discours toute seule…
Les syndicats sont membres de la société civile et ils ont deux rôles : défendre et promouvoir les intérêts des travailleurs et, être un mouvement social en coalition avec d’autres organisations de la société civile. Nous pensons que le problème de la vacance du pouvoir est un problème qui interpelle au premier chef les organisations syndicales. Pour avoir une augmentation salariale, une prime, tout passe par la présidence de la République. Si le chef de l’État ne donne pas son accord, vous n’avez rien ! Or, aujourd’hui, l’état de santé d’Ali Bongo préoccupe les organisations syndicales. Nous avons besoin de savoir si le président de la République est en capacité de gérer le pays.
Car, depuis son retour définitif au Gabon, après ses ennuis de santé, nous constatons qu’Ali Bongo ne reçoit que son cercle politique, administratif et familial. Alors que le chef de l’État est l’employé du peuple et il doit s’adresser à nous. En gros, nous n’avons pas besoin que la Coalition des 10 nous convie, car la vacance du pouvoir préoccupe tous les Gabonais. Et tous ceux qui parlent de la vacance du pouvoir, nous sommes d’emblée avec eux. D’autant que les travailleurs sont concernés au premier chef par la réduction de la main-d’œuvre non permanente, la réduction des salaires… tous les syndicats doivent se lever pour défendre le pouvoir d’achat des travailleurs.
L’action des syndicats et de la société civile peut-elle déboucher sur la mise en place d’une commission médicale pour apprécier les capacités physiques d’Ali Bongo ?
Sur cette question, nous sommes dans une macédoine : tout est mélangé ! Les décisions du dernier conseil des ministres en date sont de nature à mettre le feu aux poudres. Et cela vient renforcer l’argument de la vacance du pouvoir. Parce que ces mesures sont en contradiction avec les décisions antérieures du chef de l’État. La mesure des bourses par exemple, a été faite par Étienne Massard, qui est proche d’Ali Bongo. À l’époque, il était Président du conseil d’administration de l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG). C’est lui qui, au nom du président de la République, a initié cette réforme. Nous sommes convaincus que le rétropédalage du gouvernement sur les bourses va mettre debout des milliers d’élèves.
Lorsque vous regardez les mentions au bac, c’est impossible d’avoir une centaine d’élèves issues des écoles publiques avec une moyenne égale ou supérieure à 12/20. Nous allons nous retrouver dans la même situation que lors des réformes de Séraphin Moundounga, sur le passage en 2nd avec le Brevet d’études du premier cycle (BEPC), le baccalauréat à deux tours… remémorons-nous de ce que cela a causé. Et là, nous sommes à une échelle encore plus grande. La baisse des salaires va impliquer celle des retraites. Car le calcul de la retraite se fait sur la base du salaire. Nous allons capitaliser tout ce mécontentement-là, pour dire non au gouvernement. La mobilisation arrive et se fera naturellement. Lorsqu’un Gabonais perd 30 ou 40 000 francs dans son salaire, c’est au moins un carton de volaille, un sac de riz, un bidon d’huile… c’est inacceptable !
Et si entre temps le président se remet d’aplomb ?
Il n’aura pas le temps de se requinquer parce que ce sont des questions urgentes. La révolution se fait avec les jeunes et ces derniers vont obligatoirement se lever. Je ne vois pas des milliers d’étudiants s’en sortir sans bourses. D’un côté, on diminue le salaire des parents et de l’autre, les bourses sont presque supprimées. Ces deux situations combinées sont de l’essence, une bombe qui finira par exploser. Je connais les Gabonais en ce qui concerne l’argent. Comme disait Omar Bongo de son vivant : «Faites tout, mais ne touchez jamais à l’argent des Gabonais». Et sur la réduction de la main-d’œuvre non permanente, nous avons à la fois cette force de travail dans les collectivités locales et le gouvernement. Et dans les zones rurales, la majorité des enseignants sont issus de la main-d’œuvre non permanente. Car, beaucoup d’enseignants n’acceptent pas d’aller travailler à Makala, Moulengui-Binza, Totchandala…
Faut-il attendre la prochaine rentrée des classes pour voir la bombe que vous entrevoyez exploser ?
Non ! Une crise sociale débouche toujours sur une crise politique. Il y a un lien étroit. Par ailleurs, si le Gabon initie urgemment toutes ces mesures urgentes, c’est parce qu’il y a une mission imminente du Fonds monétaire international (FMI). Le Gabon a besoin de 55 milliards et la conditionnalité du FMI pour débloquer cet argent, est d’initier certaines mesures, dont celles qui créent actuellement la polémique. Le gouvernement répond aux exigences du FMI, mais ignore complètement celles du peuple. Toutefois, le gouvernement ne doit pas oublier une chose : qui sème la misère récolte la colère.