De toute évidence, le pouvoir perd en sérénité chaque jour davantage. Au début du mois écoulé, le Premier ministre profitait d’une tournée des marchés pour lancer un avertissement aux tenants de la vacance du pouvoir. Moins d’une semaine plus tard, la Cour constitutionnelle se fendait d’un plaidoyer pro domo. Au passage, elle menaçait d’ester en justice contre ses contempteurs.
Vendredi dernier, le gouvernement y est aussi allé de sa tirade. Par la voix du ministre de l’Intérieur, il a invité le parquet à «prendre toute la mesure de la situation en engageant l’action publique contre toute personne impliquée dans des actes de déstabilisation de notre pays». Autrement dit, pour Lambert Noël Matha le débat sur l’application de l’article 13 de la Constitution va à l’encontre des intérêts de la société et de l’ordre public. Rien de moins.
Tentative d’instrumentalisation
Désireux d’entretenir l’opacité autour de l’état de santé du président de la République, le gouvernement cultive l’amalgame. Cherchant à détourner l’attention de l’opinion publique, il emprunte des raccourcis intellectuels. Poussé dans ses derniers retranchements, il verse dans la menace, au risque de sombrer dans les collusions institutionnelles. Comme chacun a pu le constater, il assimile les causeries et les initiatives du groupe des 10 à des manœuvres visant à «déstabiliser les institutions au motif d’une vacance du pouvoir». Or, après analyse froide, rien ne permet de l’affirmer. Comme ils n’ont eu de cesse de l’affirmer, la démarche des défenseurs de la vacance du pouvoir est «citoyenne, légaliste et républicaine». En témoignent, leurs demandes d’audience aux différents responsables d’institutions, notamment le… Premier ministre. En témoigne aussi leur saisine du juge des référés en vue d’une expertise médicale contradictoire.
Le cheminement intellectuel du gouvernement n’est pas des plus rectilignes. De nombreux observateurs peinent à le saisir. Comment ne pas nourrir la suspicion quand on brandit le bâton là ou d’autres convoquent la loi ? Comment tenir pour subversives des personnalités disposées à deviser avec les responsables d’institutions ? Aux dires du ministre de l’Intérieur, le président de la République est «revenu de sa convalescence (et) exerce ses fonctions de manière effective comme l’exigent les devoirs de sa charge». Arc-bouté contre cette certitude, il croit clore le débat avec l’aide de la justice. Peu honorable, cette tentative d’instrumentalisation a des effets pervers. D’abord, elle donne au discours du groupe des 10 une plus grande résonance. Ensuite, elle transforme ces personnalités en victimes. Enfin, elle leur attire la sympathie populaire. C’est dire si l’exécutif s’est pris les pieds dans le tapis. C’est aussi dire s’il fait fausse route.
Des signes d’agacement
Mis à l’écart dès le déclenchement des ennuis de santé d’Ali Bongo, le gouvernement n’arrive plus à reprendre la main. Débordé par le cabinet présidentiel, il peine à imposer sa lecture des événements. Dans ses propres rangs, le doute et la suspicion se sont installés. Il a beau bander les muscles, ses injonctions à la justice sont la traduction d’un déficit de confiance, d’une absence de stratégie propre. Malgré ses affirmations, ses menaces contre le groupe des 10 attestent de son incapacité à ramener la sérénité dans l’opinion. En dépit des mises en scène des conseils des ministres, la paternité de nombreuses décisions continue de faire débat. Du coup, l’opinion s’interroge : qui est réellement aux commandes de l’Etat ? N’en déplaise à Lambert Noël Matha, cette question hante les esprits.
Dans le prolongement de son retour le 23 mars dernier, le dernier Conseil des ministres avait prétention à mettre un terme aux supputations sur les capacités d’Ali Bongo à gouverner. En clair, il avait aussi pour but de clore le débat sur ses capacités physiques et cognitives. En demandant au procureur de la République de s’occuper des voix dissonantes, le ministre de l’Intérieur a montré des signes d’agacement voire de faiblesse, laissant transparaître ses propres incertitudes. Après tout, si la justice peut aider à sortir du bourbier actuel, elle doit agir en toute indépendance, les connivences institutionnelles étant du pire effet. Pour le triomphe de vérité, chacun devrait s’en souvenir.