En présentant un Ali Bongo ragaillardi, la présidence de la République a donné encore plus de pertinence à la demande d’évaluation de ses capacités cognitives.
Accusé d’entretenir l’opacité, le pouvoir a choisi de communiquer. Samedi 23 mars courant, le film du retour du président de la République a été abondamment diffusé sur les réseaux sociaux. Trois jours plus tard, le même procédé a été repris à la faveur des audiences accordées aux présidents d’institutions et aux responsables religieux. Dans l’un ou l’autre des cas, ces images ont circulé avant même leur diffusion par les médias conventionnels. Ce mode de faire ne surprend guère : il répond à une stratégie mise en œuvre depuis octobre dernier. Expérimentée lors de la rencontre Ali Bongo/Mohammed VI, cette technique a été utilisée à la faveur du déplacement, à Rabat au Maroc, d’une délégation conduite par la présidente de la Cour constitutionnelle. Elle a aussi été usitée lors du précédent séjour, rendu nécessaire par l’assermentation du gouvernement.
Soupçons de manipulation
De fait, les films des audiences du 26 mars montrent un Ali Bongo à son avantage. On l’y voit accueillant ses hôtes en station debout, les saluant de la main droite, tapotant certains par la main gauche et devisant quelques instants avec chacun d’entre eux. S’il a visiblement abandonné sa canne, il semble avoir recouvré la motricité de l’ensemble de ses membres. Même son regard semble être plus franc, plus pétillant. En tout cas, moins livide. Au terme de ces rencontres, les personnalités interviewées se sont contentées de se féliciter de son retour, se gardant de livrer la teneur de leurs échanges. Seul le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est autorisé à parler de «tour d’horizon», sans en dire davantage. Comme diraient les mathématiciens, tout s’est passé comme si un domaine de définition avait préalablement été déterminé. Comme si des éléments de langage avaient été mis à disposition.
Le pouvoir demeure fidèle à lui-même et à sa stratégie. N’empêche, il peine à dissiper le brouillard. Bien au contraire. Tout au long du week-end écoulé, la plupart des observateurs, y compris les plus optimistes, étaient formels : Ali Bongo a encore besoin de rééducation fonctionnelle. Nombreux l’imaginaient se soumettre à un protocole de soins mêlant kinésithérapie, podologie, ergothérapie, psychomotricité, orthophonie et même orthoptie. Au vu des dernières images diffusées par les services de la présidence de la République, ces prédictions perdent en pertinence. Comme les médecins rééducateurs, les paramédicaux spécialisés en médecine physique et de réadaptation n’en croient pas leurs yeux. Certains ne cachent même plus leur trouble, se surprenant à parler de «montage» ou de croire en l’existence d’un «sosie». Comment en serait-il autrement quand les soupçons de manipulation persistent ?
Les termes du débat
Si l’aptitude physique d’Ali Bongo nourrit les thèses les plus farfelues, ses facultés cognitives demeurent un mystère. Désormais, elles sont l’objet principal de la controverse. S’étant soumis à une abstinence médiatique depuis le déclenchement de ses ennuis de santé, le président de la République ne s’est pas davantage exprimé depuis son retour. On l’a certes entendu avancer des bribes de phrases samedi dernier. On l’a aussi vu deviser avec ses visiteurs de mardi dernier. Mais, le grand public n’a toujours pas entendu le son de sa voix. Du coup, la suspicion s’ancre. Pour une frange de l’opinion, seule une conférence de presse, accordée à des journalistes locaux, peut taire les rumeurs sur d’éventuels troubles du langage et de la motricité en lien avec la psychologie. Seule une prise de parole publique peut aider à fixer les esprits sur sa capacité à communiquer, percevoir l’environnement, se concentrer, se souvenir des événements ou accumuler les connaissances.
En présentant un Ali Bongo ragaillardi 72 heures après son retour, la présidence de la République a précisé les termes du débat. Autrement dit, elle a involontairement mis en exergue la nécessité d’une évaluation des facultés cognitives. Après tout, dans l’exercice de ses fonctions, le président de la République fait d’abord appel à ses facultés exécutives, intellectuelles et visio-spatiales. Le sens de la planification et de l’organisation, la capacité d’inhibition, la flexibilité mentale, le sens du jugement et, le langage parlé ou écrit sont essentiels à l’accomplissement de ses missions. Bien entendu, la mémoire ne doit nullement lui faire défaut. Dès lors, chacun peut en convenir : malgré une apparente forme physique, seule une expertise médicale peut rapprocher les positions.