Signée de seulement huit personnes, la dernière déclaration de la Cour constitutionnelle est une faute déontologique, morale et éthique.
Deux fois en moins d’un mois, la présidente de la Cour constitutionnelle se sera justifiée publiquement. En novembre dernier, au lendemain de la publication de la décision n° 219/CC, elle s’était exprimée sur les antennes de la Voix de l’Amérique (VOA), affirmant n’avoir nullement perpétré un «coup d’Etat constitutionnel» (Lire «Mborantsuo nie une modification de la Constitution»). En décembre dernier, elle s’était longuement épanchée chez nos confrères de Jeune Afrique, mêlant vie privée et vie publique, se livrant à des insinuations sur les «parentés et alliances» de certains acteurs politiques, avant d’affirmer être au service des «intérêts de la République» et non de «la famille Bongo». Le 14 mars dernier, ses huit collègues lui ont emboîté le pas. Dans une déclaration au ton vengeur, ils ont dit être victimes d’une «cabale» et d’une «démarche visant à déstabiliser l’institution et surtout, la personne de son président, Marie-Madeleine Mborantsuo» (lire «La Cour constitutionnelle menace»). Pourtant, les juges constitutionnels sont censés le savoir : la réserve, la discrétion, l’impartialité et l’attention à autrui sont des valeurs essentielles pour les professionnels du droit.
Motion de soutien
Jamais la Cour constitutionnelle n’a autant donné d’elle-même l’image d’un camp retranché. Jamais elle n’est autant apparue comme une coterie pratiquant le culte du chef. Jamais des juges constitutionnels ne se sont posés en boucliers ou en défenseurs de la présidente de l’institution. Rudement attaquée au terme des présidentielles contestées de 93, 98, 2009 et 2016, Marie-Madeleine Mborantsuo a toujours pris sur elle. Si elle s’est souvent émue de certaines critiques, elle a systématiquement évité de laisser le sentiment de faiblir ou de chercher à mouiller ses pairs. Certains ont même théorisé un état d’esprit propre à la Cour constitutionnelle. Eu égard au contenu et à la tonalité de la sortie de jeudi dernier, ils doivent s’interroger.
Inutilement polémique, gratuitement menaçante, cette déclaration est une faute. Faute déontologique, d’abord. Même avec prudence et modération, un magistrat ne s’exprime jamais sur les sujets relevant de sa compétence. Si les juridictions peuvent communiquer, la communication institutionnelle ne doit pas être détournée à des fins personnelles. Faute morale, ensuite. Vis-à-vis des justiciables, le magistrat doit faire montre de finesse. S’il se distingue par un sens de l’écoute, il sait se montrer respectueux de la dignité humaine. Sous aucun prétexte, il ne peut proférer des menaces. Faute éthique, enfin. Tout en affirmant la collégialité de leurs décisions, les huit juges constitutionnels n’ont pas réussi à faire émarger la présidente de l’institution. Comme l’affirment avec justesse de nombreux internautes, leur texte est en réalité une «motion de soutien». Comme si la Cour constitutionnelle était composée de militants. Comme si sa présidente était un leader de parti en délicatesse avec l’opinion publique.
Solidarité de façade
Pointant le mode de désignation de ses membres, de nombreux compatriotes n’ont jamais cru en l’indépendance de la Cour constitutionnelle. Depuis le déclenchement des ennuis de santé d’Ali Bongo, les forces sociales la soupçonnent d’entretenir l’opacité. Du fait de son activisme débridé, sa présidente nourrit tous les fantasmes. En ces temps d’incertitude, elle a tôt fait d’accentuer la rupture avec l’opinion, devenant la cible privilégiée de nombreux observateurs. En dénonçant un «acharnement politique sans précédent» destiné à «jeter l’opprobre sur l’institution et (à) livrer à la vindicte populaire son président», ses collègues ont implicitement reconnu son impopularité. A leurs yeux, le risque était grand de la voir entraîner la juridiction dans les abîmes du désamour populaire.
Pour eux, l’hypothèse d’une descente aux enfers collective était manifestement inconcevable. Comme dans le monde politique, ils ont affiché une solidarité de façade. Quelle collégialité quand on dissocie systématiquement «l’institution» de «sa présidente» ? Quelle solidarité quand le principal concerné n’est pas signataire du texte ? N’est-ce pas une façon de la singulariser ? N’est-ce pas une manière de s’en démarquer pour mieux l’isoler ? Dans l’inconscient collectif, Marie-Madeleine Mborantsuo n’est pas la collègue des huit autres conseillers. Elle est perçue comme leur chef, leur supérieur hiérarchique, leur «patronne», l’alpha et l’oméga de la Cour constitutionnelle. D’une certaine manière, elle paie le prix de sa gouvernance hérétique, trop verticale et pas assez horizontale encore moins inclusive. Même si elle «ne décide pas seule et ne peut d’ailleurs le faire», l’opinion est convaincue du contraire. À elle d’en tirer les conséquences…